Normes : pour un changement de culture …
Depuis deux ans, sous l’impulsion de son président Alain LAMBERT, la Commission consultative d’évaluation des normes (CCEN), créée par la loi et dont j’ai l’honneur d’assurer l’une des deux vice-présidence, a commencé à installer une nouvelle démarche dans le processus d’organisation de l’action publique locale.
Pour autant, le travail n’est pas terminé, bien loin de là. Il ne fait que commencer.
D’une part, la CCEN n’a pu jusqu’à maintenant, faute de temps, travailler que sur le « flux » des nouveaux textes normatifs élaborés par l’administration centrale. Cela lui a permis d’affiner sa méthode et son organisation, de mesurer les enjeux, de faire déjà « bouger » l’administration centrale et de la mobiliser davantage sur l’absolue nécessité de ne pas tout régler par la normalisation et le contrôle. Il faut maintenant, conformément d’ailleurs à la volonté exprimée par le Premier ministre, s’occuper aux centaines de milliers de normes en tout genre qui sont applicables à notre gestion publique locale.
D’autre part, il faut encore davantage mobiliser les élus locaux eux-mêmes, ainsi que les administrations locales, qui n’ont pas encore compris le formidable gisement d’économies que recèle le réexamen des textes normatifs. Nous nous y employons notamment au sein de l’Association des maires de France (AMF). Bien évidemment, l’engagement des parlementaires, et notamment de la commission des Finances du Sénat, est un atout précieux dans notre démarche.
Enfin, et c’est sans doute l’essentiel, il faut absolument insuffler une nouvelle culture non seulement dans l’administration elle-même, mais également chez tous ses partenaires. Passer d’une culture de la norme à une culture de la responsabilité partagée et assumée par toutes celles et tous ceux qui exercent une part, même limitée, de décision. A cet égard, la remise en cause – ou, à tout le moins, le redimensionnent – du fameux « principe de précaution » semble nécessaire. Les adversaires ne sont pas toujours là où on les attend : certains lobbies économiques ont à l’évidence intérêt à la normalisation, synonyme de complexité et donc de coût supplémentaire, dépense pour les uns, mais chiffre d’affaires et bénéfices supplémentaires – et peu contrôlables – pour les autres !
Un exemple intéressant et d’actualité en est donné par les pérégrinations du projet de décret sur les normes nutritionnelles dans la restauration scolaire, qui doit être pris en application de la loi de 2010 de modernisation de la pêche et de l’agriculture. Ce texte, d’une grande complexité et précision quant à la composition obligatoire des menus et au grammage des plats, prévoit également des contrôles par l’administration d’Etat dans les services de restauration. Malgré un premier travail de simplification et d’allégement mené par les services de l’AMF, la CCEN a émis un avis défavorable dans sa séance du 6 janvier, provoquant un inimaginable tollé de tous les esprits bien-pensants. Parmi ceux-ci, les associations nationales de parents d’élèves, oubliant qu’un enfant prend au minimum les deux-tiers de ses repas dans sa famille, à qui il revient au premier chef d’assurer l’éducation alimentaire de ses enfants. Ou encore, les experts de tout poil, publics et privés, considérant que la première priorité de santé publique en matière d’obésité était de mettre au pas la restauration scolaire, alors même que rien, absolument rien, n’est fait pour pénaliser la consommation de produits sur-gras ou excessivement sucrés, et manifestement nocifs, en vente libre, avec la débauche publicitaire qui l’accompagne. Manière de montrer qu’il est bien plus facile – et moins risqué – de prendre des mesures contraignantes à l’égard des collectivités locales plutôt que de taxer les grands groupes agro-alimentaires ? Et puis, et peut-être surtout, voit-on monter en première ligne les « professionnels » de la restauration collective, flairant dans ces normes le coup fatal enfin porté aux petites cuisines scolaires des petites et moyennes communes, qui n’auront pas les moyens techniques de respecter lesdites normes, et le chiffre d’affaires supplémentaire qui en résultera inévitablement pour elles.
Un dossier dans lequel les élus locaux ayant eu le courage de s’opposer au rouleau compresseur de la norme seront sans aucun doute voués aux gémonies et accusés de ne pas se préoccuper de santé publique, mais où il apparaît bien que les familles refusent d’endosser leurs responsabilités éducatives, que les experts se laissent manipuler et que les lobbies se déchaînent, avec la bienveillance du pouvoir central qui lui-même se laisse décharger de ses responsabilités à l’aune du « politiquement correct ». Sous couvert de « précaution », la norme cache souvent bien autre chose !