L’agglomération de Paris : l’affaire des maires !

Tribune parue dans Libération, 3 juillet 2006

La réunion, ce vendredi 7 juillet 2006, de la première conférence métropolitaine de l’agglomération parisienne est une bonne nouvelle.

Maire d’une ville de 20 000 habitants située à quelques kilomètres au sud de Paris, avec laquelle elle était reliée par le chemin de fer voici déjà plus de 150 ans, ancienne sous-préfecture du département de la Seine et fière de sa vocation d’accueil de nombreux établissements d’enseignement supérieur,

je me rendrai à cette première réunion de la conférence métropolitaine, animé par le même esprit que celui avec lequel je m’étais rendu à la réunion organisée par le maire de Paris en décembre 2001.

Cette conférence vient après cinq années d’effort de la municipalité parisienne pour tenter de nouer les fils d’un dialogue improbable avec les maires de « banlieue ». Jamais, au cours des deux derniers siècles, Paris n’avait accompli une telle démarche. Au contraire, Paris ignorait sa banlieue et y déversait ce qu’elle ne voulait pas ou plus sur son propre territoire. Ce dialogue nouveau est possible parce que les communes de l’agglomération ont, de leur côté, perdu peu à peu leurs complexes, en assumant clairement leur histoire, en mettant en valeur leur patrimoine, en redonnant une âme à leur centre ville, en implantant d’importants lieux de création et de diffusion culturelle, etc …

Malgré ces efforts, les difficultés que rencontrent les ménages franciliens, et tout particulièrement ceux résidant dans la zone dense de l’agglomération, n’ont jamais été aussi préoccupantes : inaccessibilité des logements par le prix et le nombre insuffisant, qualité des transports en commun dégradée,

sentiment d’insécurité progressant du fait notamment d’incivilités répétées et impunies … ces sujets de la vie quotidienne doivent être abordés en dehors des institutions lourdes, des réseaux partisans et des jeux de pouvoir. Seuls les maires, élus de terrain, ont cette capacité de parler librement.

 

L’important effort de concertation mené par l’exécutif régional dans le cadre de l’élaboration du SDRIF a notamment montré les difficultés de gouvernance du territoire francilien. La région parisienne est en effet singulière. Ses maires et ses conseils municipaux n’y exercent pas tout à fait les mêmes responsabilités qu’en province. La notion de « développement territorial » – qui puise dans les ressources du territoire les moyens de son développement – y est moins prégnante, pour ne pas dire ignorée. La création, voici une cinquantaine d’année, des départements de la petite couronne répondait surtout à la nécessité de réinstaller l’Etat au cœur de banlieues grouillantes et redoutées du pouvoir central. La mise sur pied récente de plusieurs communautés d’agglomération n’a que rarement répondu à une démarche territoriale cohérente, mais plutôt à la création de fiefs politiques autour de « grands » élus auxquels les préfets n’ont rien su refuser. La région s’est vue confier par la loi l’élaboration du schéma directeur ou les transports en commun, alors qu’ailleurs cela relève pour l’essentiel de structures intercommunales cohérentes où les maires ont toute leur place. Les maires sont de fait exclus du jeu normal des pouvoirs qu’ailleurs ils exercent pleinement, notamment à travers les structures intercommunales, communautés urbaines pour les plus importantes, ou communautés d’agglomération pour les autres.

Les collectivités territoriales du territoire comprenant Paris et la petite couronne regroupent plus de 6 millions d’habitants et « pèsent budgétairement » 20 milliards d’euros, dont 12 pour les seules communes et leurs groupements, 4 pour les départements et autant pour la région. Dans l’état actuel des choses, le conseil régional ne peut prétendre au rôle qu’exerce, ailleurs, une structure intercommunale émanant directement des conseils municipaux et placée sous le contrôle direct des maires.

En outre, le territoire de l’agglomération parisienne reste marqué, plus que tout autre en France, par de fortes inégalités de ressources et de pression fiscales locales, à peine corrigées par de timides mécanismes de péréquation. Alors même que les frontières administratives sont quasi transparentes et que la mobilité des habitants est très importante, les bases de taxe professionnelle par habitant – véritable mesure de la richesse d’une ville – accusent un écart allant pratiquement de 1 à 100 selon les villes ! Les taux cumulés d’imposition à la taxe d’habitation vont de moins de 10% à près de 30%. Les taux de la taxe professionnelle varient, eux, entre 10 % et 40 %.

Au-delà de l’inévitable réforme des finances et de la fiscalité locales, les maires de l’agglomération parisienne pourraient envisager, à terme, la création d’une structure institutionnelle. La prise du pouvoir territorial ici comme ailleurs par les élus locaux et l’instauration de nouvelles solidarités – dont Paris devra prendre sa part, au prix notamment d’une hausse fiscale -, provoquerait la nouvelle dynamique qui manque à l’agglomération et l’empêche de concilier la recherche de la qualité de vie de ses habitants et le nécessaire développement économique.

Pourtant, l’insistance avec laquelle certains élus de l’opposition parisienne proposent désormais, et tout de suite, une « communauté urbaine » – après n’avoir rien fait à ce sujet lorsqu’ils assumaient la responsabilité de la Ville, et sans concertation particulière avec les autres maires de la zone dense – est profondément suspecte, comme s’ils savaient que vouloir aller trop loin et trop vite était le plus sûr moyen de ne rien faire du tout ! Car la démarche intercommunale n’est à l’évidence pas applicable à Paris et sa petite couronne comme elle l’est en province. Si l’intercommunalité de gestion existe et fonctionne bel et bien dans certains domaines techniques(eau, assainissement, déchets…), la prise de conscience d’œuvrer sur un territoire suppose le respect mutuel des élus et une mobilisation collective de tous les maires de l’agglomération parisienne dense en faveur d’une intercommunalité renforcée dans un cadre juridique renouvelé.

Notre région mérite donc qu’on la laisse trouver, sous l’impulsion des maires, une organisation du territoire plus pertinente et plus conforme aux réalités vécues. Par leur proximité et leur légitimité, les maires de l’agglomération parisienne sont les acteurs incontournables du consensus nécessaire dans la recherche de cette nouvelle organisation. Ils sont à même de concilier la nécessaire préservation de l’identité communale et l’indispensable renforcement d’une vraie coopération intercommunale afin de gérer efficacement les services publics destinés aux habitants d’Ile-de-France et d’assurer un développement équilibré du territoire francilien. Il faut choisir de leur faire confiance.

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