Finances locales : cette année ou jamais !

Congrès des maires de France

21- 23 novembre 2006

Depuis deux ans, nous annonçons ici la crise des finances locales.

Cette crise – une crise de confiance autant que de chiffres – est désormais devant nous, de la façon la plus sûre qui soit.

 

La crise des finances locales est désormais devant nous

Les équilibres budgétaires des collectivités locales françaises, s’ils restent bons sur le passé, sont désormais clairement menacés sur l’avenir immédiat, et l’on ne voit pas ce qui pourrait les faire évoluer de façon positive.

Ainsi, la remontée des taux d’intérêt – dont on ne saisit pas par ailleurs précisément la justification – n’est plus seulement une menace, mais une réalité : en un an, les taux ont augmenté de plus 1 point. L’enjeu, c’est une dépense annuelle supplémentaire de l’ordre de 1 milliard d’euros à terme.

Les dépenses de fonctionnement connaissent un alourdissement considérable. Les départements y sont confrontés de façon brutale. Leur asphyxie programmée sous le poids des dépenses d’aide sociale a déjà des conséquences lourdes sur les communes, et notamment les plus petites d’entre elles.

L’indice des prix des dépenses communales, dont nous publions les chiffres pour la troisième année et dont personne n’a jamais contesté la réalité et le caractère objectif, enregistre un écart croissant entre l’inflation officielle et la dérive des coûts dans une commune moyenne. Alors que cet écart n’était que de 0,5 point entre 1999 et 2005, il atteint sur 2005-2006 1,7 point. Toutes choses égales par ailleurs, les coûts de fonctionnement des communes augmentent deux fois plus vite que l’inflation compte tenu des contraintes multiples de la gestion communale, dont une bonne partie sont imposées par l’Etat. Cette situation est insupportable à court terme.

Mais c’est sans doute du côté des ressources que les difficultés apparaissent les plus lourdes à court terme.

Les dotations d’abord. Certes, l’Etat a maintenu l’indexation du pacte de croissance et de solidarité prenant en compte une partie de la croissance du PIB. Pour autant, il faut rappeler notre revendication permanente d’une indexation sur 50% au moins de la croissance, et non 33%. Il faut en outre dénoncer le discours gouvernemental qui consiste à assimiler les dotations et compensations à des dépenses pour l’Etat. C’est oublier un peu vite qu’il s’agit là, pour l’essentiel, d’anciens impôts locaux, supprimés par décision du pouvoir central au fil du temps : taxe locale pour le chiffre d’affaires remplacée par la TVA, puis partie des impôts directs supprimée au gré des volontés de réforme fiscale du seul Etat. Ces dotations ne sont donc pas des dépenses, mais un prélèvement sur les recettes fiscales de l’Etat. Ainsi les dotations et compensations doivent-elles progresser comme les recettes fiscales de l’Etat avant tout allégement, et non comme ses dépenses ! Au demeurant, plusieurs voix autorisées ont bien montré que la progression réelle des dépenses de l’Etat ressortait à un niveau bien supérieur à celui affiché, compte tenu de l’utilisation des techniques classiques de débudgétisation. Il reste que la progression de la DGF forfaitaire sera, pour de nombreuses communes, probablement inférieure à 1%, creusant ainsi encore la perte de pouvoir d’achat enregistrée depuis des années. Au total, cette perte du pouvoir d’achat atteint plus de 10% sur les cinq dernières années. Jamais, de ce point de vue, les collectivités locales n’avaient été aussi ponctionnées !

Le plafonnement de la taxe professionnelle sonne le glas de l’autonomie fiscale

Les recettes fiscales ensuite. Les propos pessimistes que je tenais ici même voici un an à la suite de la mise en place, en catastrophe, du plafonnement de la taxe professionnelle, se confirment. En 2007, le manque à gagner – ou le remboursement – pourrait être de l’ordre de 600 millions d’euros, un montant qui progressera chaque année. Je dis « pourrait » car, et c’est une autre des caractéristiques de ce plafonnement, personne n’est réellement capable de dire ce qu’il en sera réellement. Le mécanisme est en effet techniquement impossible à simuler, car dépendant des décisions de multiples collectivités et de la capacité des contribuables à utiliser au mieux le dispositif pour minorer encore leur charge fiscale. Autant dire que c’est dans le flou le plus complet que vont se débattre, pour leur survie, les collectivités locales, et singulièrement les communautés à taxe professionnelle unique dont l’asphyxie est programmée, à moins d’instituer massivement la fiscalité mixte. Et si le report d’un an obtenu à l’Assemblée par l’AMF et son président, Jacques Pélissard, est positif, il ne fait que corriger l’un des multiples effets pervers d’une mesure qui vide de son contenu l’autonomie fiscale locale, pénalise la vertu fiscale passée et renforce considérablement les inégalités entre les territoires.

« L’Etat est devenu le premier contribuable local de France », assène sans relâche le gouvernement. Sans doute. Mais il l’a voulu. D’exonérations en dégrèvements, l’Etat a pris à sa charge une partie de plus en plus importante de la fiscalité locale. Il l’a toujours fait en considérant le contribuable, jamais la question du financement des politiques publiques locales. Ce n’est là que la conséquence de l’incapacité du pouvoir central à proposer et mettre en oeuvre une réforme profonde de la fiscalité locale, jugée inadaptée. Le récent rapport d’audit sur les dégrèvements, remis il y a quelques jours au ministre du Budget est de ce point de vue parfaitement clair : il y est réaffirmé que les dégrèvements sont l’affaire de l’Etat et de lui seul, qu’ils sont le fruit de décisions politiques et qu’on n’en mesure d’ailleurs pas très bien l’efficacité en terme économique ou d’équité.

L’on comprend mieux, dès lors, les inquiétudes des maires de France face à ce paysage financier et fiscal incertain et tourmenté. L’inquiétude se double de la colère lorsque la mise en cause de la gestion publique locale par le pouvoir central se fait lourde et insistante, comme pour mieux masquer les très graves insuffisances de l’Etat. Rappelons que les collectivités locales voient leur dette augmenter (très peu) uniquement pour financer des investissements et préparer l’avenir, alors que l’Etat continue d’emprunter pour payer les salaires tout en diminuant l’impôt !

Les solutions existent : elles demandent une vraie volonté politique du pouvoir central

Que faut-il faire maintenant ?

La quasi-totalité des élus sont désormais convaincus qu’une réforme profonde de la fiscalité locale est inéluctable et qu’elle est la véritable condition d’une nouvelle étape de la responsabilisation de la gestion publique locale. Notre président en a d’ailleurs fait l’une de nos principales revendications. Avec l’ADF et l’ARF, nous avons saisi le Conseil économique et social pour une réflexion à ce sujet. Nous attendons beaucoup de cette réflexion qui s’est appuyée sur de très larges consultations.

La fiscalité actuelle est inadaptée au rôle que jouent les collectivités territoriales dans l’économie du pays, dans son équipement et dans la production de services au quotidien. Comment imaginer en effet financer un budget global qui approche les deux tiers de celui de l’Etat avec la fiscalité locale que nous connaissons ? En même temps, nous sommes convaincus qu’une réelle liberté fiscale est la clé d’une décentralisation réussie et assumée en toute responsabilité. Il y a aujourd’hui un certain paradoxe à demander toujours plus à l’impôt local et, en même temps, à réserver à l’Etat les impôts les plus justes et les mieux acceptés par nos concitoyens.

C’est pourquoi nous estimons désormais nécessaire l’introduction des revenus dans l’assiette taxable au niveau local, pas nécessairement des communes, mais par exemple des départements. Nous proposons également une nouvelle façon de fixer les valeurs locatives foncières, qui tienne compte de la valeur réelle des biens. Nous souhaitons que la taxe professionnelle évolue dans le sens d’une extension du champ des contribuables et d’une simplification et « relocalisation » des bases. Enfin, nous suggérons que soit étudiée une nouvelle fiscalité automobile en lien avec les conséquences environnementales de l’utilisation de la voiture individuelle.

S’agissant des dotations, leur architecture doit naturellement aller dans le sens d’une plus grande péréquation. Ceci suppose d’une part de mettre fin à certaines situations acquises et véritablement anormales, d’autre part d’y consacrer de nouveaux moyens issus de la solidarité nationale. Cependant, il faut noter que la péréquation se réalise à de multiples niveaux, et qu’elle est sans doute plus efficace si elle se décide près du terrain. C’est pourquoi la péréquation de l’Etat doit rester basée sur des critères simples et lisibles, en sachant résister au lobbying intense de certains parlementaires qui, sous couvert de l’intérêt général, plaident pour leur paroisse.

Nous devons également soutenir et faciliter toute initiative permettant de montrer, de manière objective, la qualité de la gestion publique locale et les enjeux qui s’attachent à la dépense publique locale, enjeux en termes de solidarité locale, de qualité de vie, de préservation de l’environnement, de développement économique équilibré. Nous avons donc approuvé et encouragé la création de la « mission Richard », dont les conclusions sont attendues d’ici quelques semaines.

Il faut enfin restaurer la confiance entre l’Etat et les élus locaux, durement mise à mal ces dernières années. Cela doit cesser, et nous souhaitons de nouvelles relations basées sur le respect et le partenariat. L’Etat ne doit plus considérer les collectivités locales comme son simple prolongement ou ses vassales, mais comme des partenaires responsables et autonomes, contribuant au même titre que lui à la définition de l’intérêt général. Plus de modestie, moins de suffisance : c’est une révolution culturelle à opérer pour l’appareil d’Etat. Et ce ne sera pas le plus facile.

Nous sommes à quelques mois d’une échéance majeure pour le pays. Tout est possible, y compris l’entrée enfin de notre pays dans l’ère d’un pouvoir local autonome et responsable. C’est une question de volonté politique. C’est cette année ou jamais.