Transferts financiers de l’Etat : soyons enfin honnêtes !

Depuis de longues années, l’Etat s’ingénie à majorer de façon outrancière ce que l’on a coutume d’appeler « les transferts financiers de l’Etat aux collectivités locales », et qui sont présentés lors de l’examen de la loi de Finances. Pour 2015, et malgré le prélèvement effectué sur cette masse financière pour contribuer à résorber le déficit de l’Etat, le montant ainsi annoncé à grands renforts de publicité est de 101 milliards d’euros.

On voit bien l’intérêt politique et de communication des dirigeants de Bercy de procéder ainsi : l’énormité de la somme fait immédiatement prendre pitié de ce pauvre Etat qui se saigne aux quatre veines pour venir en aide à des collectivités territoriales non seulement très dépensières, mais en outre bien peu reconnaissantes des largesses de leur « protecteur ». Et puis, un prélèvement fixé en valeur absolu est d’autant plus faible en valeur relative que le dénominateur est élevé : ainsi, le prélèvement de 3,67 milliards ne « pèse » que finalement 3,6% sur le total. « Supportable », diront immédiatement les observateurs … La puissance de communication de Bercy a raison de tous les raisonnements avancés par quelques-uns, dont votre serviteur : pour autant, nous avons obtenu il y a quelques années que l’expression « transferts financiers » vienne se substituer à ce qui préexistait et qui était un véritable défi à l’honnêteté intellectuelle : les documents budgétaires qualifiaient en effet ces « transferts » d’ « effort financier en faveur des collectivités locales » ! Effort financier !

Qu’on en juge donc par un examen détaillé de ce qui compose ce total de 101 milliards.

Il y a d’abord la « fiscalité transférée », à hauteur de près de 33 milliards d’euros. Cette fiscalité était de la fiscalité d’Etat il y a un certain nombre d’années, et son produit en a été affecté – voire même dans certains cas la responsabilité d’en fixer le niveau – aux collectivités locales, régions et départements pour l’essentiel, afin de financer partiellement les transferts de dépenses consécutifs aux transferts de compétences issus des lois successives de décentralisation. Ces impôts sont par exemple les droits de mutation à titre onéreux (souvent mais improprement appelés frais de notaire), les taxes sur les permis de conduire et cartes grises, etc. Il y a, convenons-en, quelque exagération à nommer cela « transferts financiers de l’Etat » : l’Etat n’est plus pour rien du tout dans ces impôts, parfois depuis plus de trente ans !

Il y a ensuite les « dégrèvements », pour un total de près de 11 milliards. Ceux-ci résultent de décisions unilatérales de l’Etat, naturellement votées par le Parlement. Face à l’obsolescence, réelle ou supposée, des impôts locaux, tout spécialement de la taxe d’habitation, et dans l’incapacité politique de procéder à des réformes profondes desdits impôts, le pouvoir central préfère s’enfoncer la tête dans le sable et décider ainsi de payer au moins une partie de l’impôt à la place des contribuables ! Véridique. De sorte que les « dégrèvements » ne peuvent en aucun cas s’assimiler à des transferts financiers vers les collectivités locales, mais sont bel et bien, au contraire, des transferts vers les contribuables. Les collectivités locales, quant à elles, n’ont rien décidé, n’ont rien demandé, et du reste ces dégrèvements sont parfaitement transparents à leurs yeux.

Vient alors le « fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée », le fameux FCTVA, pour environ 6 milliards d’euros. Cette affaire, conquise de haute lutte dans les années 70, part d’un principe juste et sain : il est amoral que l’Etat central taxe les pouvoirs locaux. Cela est même expressément banni dans les pays à organisation fédérale : l’impôt local ne doit pas financer indirectement l’Etat central. A chacun ses ressources. Ainsi s’est progressivement mis en place un mécanisme de compensation de la TVA payée par les collectivités sur leurs investissements, considéré à l’heure actuelle comme un « remboursement » et non comme une subvention. Autrement dit, le FCTVA, c’est le remboursement d’une recette que l’Etat a indument perçue. Et encore pourra-t-on faire observer que le même mécanisme devrait en toute logique exister également pour les dépenses de fonctionnement qui sont soumises à TVA (achats, marchés de prestation de service, etc…) : un calcul rapide permet d’estimer à environ 3 à 4 milliards d’euros le montant qui devrait ainsi être remboursé par l’Etat aux collectivités territoriales !

Le volume total de l’enveloppe dite « normée », dernière composante de ces « transferts financiers », représente, avant le prélèvement de 3,67 milliards de 2015 et celui de 1,5 milliard en 2014, un peu plus de 54 milliards d’euros. Cette enveloppe comprend notamment la dotation globale de fonctionnement. Elle est en réalité entièrement composée de sommes qui correspondent soit à la « compensation » – d’ailleurs souvent très insuffisante – d’impôts locaux supprimés (par exemple, la taxe locale sur le chiffre d’affaire, supprimée en 1965, la vignette automobile, supprimée en 2000, ou la taxe professionnelle, supprimée en 2009), soit à la compensation – là encore souvent insuffisante – des transferts de charges résultant de transferts de compétences de la part de l’Etat. Là encore, il ne s’agit nullement, historiquement, de « libéralités» de l’Etat en faveur des collectivités locales, mais de l’application d’un engagement pris par le pouvoir central qui décide de supprimer des recettes et d’en compenser « à l’euro près » les conséquences …

En conclusion, le volume financier total dû par l’Etat aux collectivités locales – hors fiscalité transférée et dégrèvements – est d’au moins 60 milliards, voire entre 63 et 64 si l’on y ajoute la TVA payée et non remboursée sur les dépenses de fonctionnement. Au lieu de cela, l’Etat ne versera donc en 2015 que 55 milliards selon le projet de loi de Finances, privant ainsi les collectivités locales de 8 à 9 milliards de ressources. On est loin d’une quelconque générosité de l’Etat, et il est intellectuellement malhonnête de laisser croire que l’Etat aide les collectivités locales : c’est bien tout le contraire !

Ainsi se trouve malheureusement confirmée, plus de 60 ans après, l’apostrophe lancée à la tribune du Congrès des maires de 1952 par mon prédécesseur Edouard Depreux, maire de Sceaux de 1945 à 1959 : « Ne sont-ce pas aujourd’hui les communes, engagées chaque jour dans des dépenses nouvelles qui ne sont pas de leur ressort, qui subventionnent l’Etat ? ». Décidément, rien ne change.

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