Territoires ruraux : les maires mobilisés contre la désertification des services publics

La modernisation de l’action publique est une nécessité. Elle œuvre à rendre plus efficace les services publics. La réduction des coûts immobiliers et la recherche d’une masse critique se voient comme des leviers concrets permettant de dégager des moyens pour l’action publique en elle-même. Cependant, cette logique purement comptable ne peut pas, ne doit pas, s’appliquer uniformément sur l’ensemble des territoires.

Aujourd’hui, les enjeux, les besoins, les possibilités de notre pays n’ont plus grand-chose à voir avec la période postrévolutionnaire, ni avec la Libération. Il faut donc en finir avec cette obsession d’égalitarisme et d’uniformité territoriale, et en venir à la modularité, c’est-à-dire l’acception d’organisations différenciées des institutions publiques selon les territoires en fonction des réalités locales. Qui pourrait sérieusement affirmer que les problématiques sont les mêmes pour les habitants d’un village alpin que pour ceux d’une ville de la première couronne parisienne ? Et même à « niveau » équivalent, pourquoi s’obliger à faire la même chose à Paris, Marseille, Strasbourg, Nantes ou Toulouse ? Définitivement, les notions de « cas par cas » et de « communauté de vie » doivent guider l’objectif de territorialisation des politiques.

Les politiques publiques actuelles conduisent à une désertification dans les territoires ruraux : moins de services publics aux personnes (santé, éducation, leviers sociaux) et une déliquescence de la présence de l’Etat près de ceux qui en ont le plus besoin. A cette grave dégradation de la continuité administrative s’ajoutent d’autres fractures liées à l’enclavement des régions rurales (culturelle, sportive, numérique, économique…). Les maires sont les garants du lien social. Or dans cette dynamique – et confrontés à l’exode des jeunes et à un sentiment grandissant d’exclusion chez ceux qui restent – ils se trouvent en première ligne pour affirmer la nécessité du maintien d’une offre de services de proximité et pour tous.

Pour rester fidèle à ses principes, la République ne peut pas « lâcher » ses territoires ruraux. De fait, la bienveillance en termes de politiques de la ville des pouvoirs publics ne doit en aucun cas se limiter aux seuls quartiers urbains. Aujourd’hui, les citoyens ruraux partagent largement le sentiment d’être délaissés, pour ne pas dire abandonnés, par l’Etat.

D’ailleurs, ce sentiment de déclassement social et de mise à l’écart, cette fatigue face à un système qui marche sur la tête a un fort impact sur les résultats électoraux en zone rurale. L’extrême droite qui prospère sur la notion de déclassement social se présente comme une alternative forte dans les zones quittées par les pouvoirs politiques et économiques. De même que la désindustrialisation a eu un impact direct sur le vote contestataire, la disparition du service public de proximité dans les zones les plus éloignées des grandes villes nourrit elle aussi la dynamique frontiste[1]. Nous aurions tort de prendre cela à la légère : l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis s’est, par exemple, largement jouée dans les Etats ruraux du Mid-West, touchés par les mêmes problématiques que « la diagonale du vide » française.

La réduction des déficits et des dépenses – ce qui n’est pas la même chose … – ne peut justifier de ronger jusqu’à l’os les campagnes. Il apparaît d’une impérieuse nécessité de l’adapter aux réalités des conditions de vie des habitants. De nombreux maires, y compris de zones urbaines, ont bien compris les dangers d’une telle logique et réclament davantage de moyens pour maintenir un socle de services de l’Etat dans les zones les plus isolées comme des « maisons du service public », le développement des centres de santé (à rebours de leur fermeture) ou davantage de transports publics collectifs.

Ce discours, à contre-courant des débats actuels, qui tendent vers moins de service public, tient compte des réalités les plus profondes dans nos territoires. Car au contraire, une vision globale et à long terme recommande plutôt des investissements massifs – pour ne pas dire un réinvestissement – de l’Etat par-delà les métropoles, comme par exemple dans le domaine de l’équipement numérique où, au lieu de s’en remettre à des opérateurs motivés par les seuls critères de rentabilité immédiate, l’Etat devrait lancer lui-même un vaste programme de rattrapage, comme cela a été fait dans un lointain passé pour le téléphone. Comment en effet croire aux valeurs de notre République dès lors que l’on se sent comme« assigné à résidence » au sein de territoires sans avenir, et lorsque l’Etat lui-même semble abandonner toute volonté de peser sur cette situation ?

 

[1] http://www.ifop.com/media/pressdocument/413-1-document_file.pdf

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