Sceaux et le Grand Paris

Alors que le Sénat débat du « Grand Paris » à la mode de Christian Blanc, je vous livre ci-dessous un texte sous forme d’un entretien avec Emmanuel Bellanger réalisé à l’automne 2009 et publié dans un ouvrage à dominante historique – vendu dans les librairies de Sceaux … – édité par la ville de Sceaux et intitulé « Sceaux et le Grand Paris ». Le lecteur y trouvera sans doute une conception un peu différente de ce que doit être, selon moi, la métropole de demain, dans laquelle Sceaux entendu tenir toute sa place …

Si vous deviez identifier les caractéristiques historiques et structurantes de votre ville, que diriez-vous d’elles ?

Philippe Laurent : Parmi les caractéristiques structurantes, il y a en premier lieu la situation géographique exceptionnelle de la ville : Colbert choisit d’y établir son domaine précisément parce que Sceaux se trouve être à mi-chemin entre Versailles et Paris. La période de l’Ancien Régime a été déterminante pour l’identité de la commune, riche de cette histoire ancienne et profondément ancrée. « Sceaux le Grand », qui s’est développé à l’ouest de la ville, préfigure les frontières actuelles du territoire communal.

C’est également une ville résidentielle qui, à la différence de nombre de communes de banlieue, n’a jamais été une « banlieue dortoir ». Dès l’arrivée du chemin de fer en 1846, elle devient lieu de villégiature pour les riches Parisiens, avant de devenir véritablement « résidentielle », au sens où l’on peut y vivre pleinement, grâce notamment à la présence d’une activité commerçante intense héritée du temps où Sceaux était le grand marché aux bestiaux de Paris sur la route d’Orléans à Paris.

Aujourd’hui, la qualité de vie que l’on trouve à Sceaux est très prisée. Sceaux est en effet une ville qui fait la part belle aux familles, des plus jeunes aux seniors : en témoigne par exemple la présence d’une importante population scolarisée qui habite ou vient à Sceaux tous les jours. Sceaux accueille ainsi près de 10 000 étudiants, ce qui en fait l’une des villes universitaires les plus importantes de l’agglomération parisienne et explique à la fois le nombre élevé d’enseignants, d’intellectuels et d’artistes qui y ont élu domicile depuis la moitié du 19ème siècle et la présence d’institutions culturelles rayonnant très largement.

Autres spécificités de la ville, ses espaces verts, qui couvrent 52 % du territoire ; la qualité du commerce de proximité ; la vie culturelle et artistique foisonnante (depuis la manufacture de faïence de Sceaux qui rivalisait alors avec celle de Sèvres, au Bloc House qui regroupe aujourd’hui des artistes contemporains) dont témoigne une vie associative très riche.

Enfin, Sceaux a toujours été une commune ouverte et solidaire : depuis les œuvres de bienfaisance de la Belle Epoque (je pense entre autres à l’investissement d’une illustre famille scéenne, les Renaudin) à l’existence d’une ruche ouvrière, sans oublier son ouverture sur le monde, sur l’Europe en particulier, au travers d’une longue tradition de jumelage.

Comment la ville de Sceaux s’est-elle inscrite dans le développement des coopérations intercommunales ? Quelles ont été les formes et les principales étapes de cette évolution institutionnelle ?

Philippe Laurent : Notre commune a été partie prenante de ces collaborations dès avant que la législation nous y enjoigne ! Mon prédécesseur, Pierre Ringenbach, avait déjà repris le flambeau de la coopération avec Bourg-la-Reine initiée par Erwin Guldner et qui ont concerné le théâtre des Gémeaux, l’Ecole nationale de musique, la piscine des Blagis, voire le groupe scolaire et le complexe sportif des Blagis.

En application de la loi dite « Chevènement » de 1999, Sceaux intègre en 2003 la communauté d’agglomération des Hauts-de-Bièvre (CAHB) aux côtés des communes d’Antony, Bourg-la-Reine, Châtenay-Malabry, Le Plessis-Robinson, Verrières-le-Buisson et Wissous (ces deux dernières étant situées dans le département de l’Essonne).

A côté de cette institution « formalisée », la commune expérimente en outre un travail de coopération plus informelle, interdépartementale, au sein de la Vallée Scientifique de la Bièvre (VSB) depuis 1998. Ce territoire, qui va de Malakoff à Fresnes en passant par Montrouge et Fontenay-aux-Roses, totalement intégré à ce que l’on nomme le « cône sud francilien de la recherche et de l’innovation », constitue un espace dynamique d’activités ayant vocation à devenir un pôle d’excellence rayonnant largement en Ile-de-France. La présence de nombreux établissements universitaires, de grandes écoles, de grands centres hospitaliers, de laboratoires publics et privés et de réseaux liés à l’économie de la connaissance et à la recherche de haut niveau dans le domaine de la santé notamment, a incité les élus de dix-huit villes à devenir des partenaires majeurs de l’évolution de ce territoire, car ils sont liés par une véritable « communauté de destin » et ils refusent notamment l’idée d’un territoire « intersticiel » qui serait situé entre des zones faisant l’objet de toutes les sollicitudes. Il s’agit de contribuer à bâtir un véritable « campus urbain », et plus que cela, il s’agit d’insuffler une nouvelle cohérence, une nouvelle vie à ces territoires. Le territoire de la VSB s’inscrit logiquement dans celle de l’OIN du plateau de Saclay : il s’agit de projets tout à fait complémentaires.

Enfin, aujourd’hui, la ville participe activement à l’avenir de la métropole au sein du syndicat mixte d’études Paris Métropole, dont j’ai été élu vice-président en juin 2009.

Le syndicat Paris Métropole, dont vous êtes un des membres fondateurs, a effectivement été créé le 10 juin 2009. Quelles sont les motivations qui vous ont incité à engager votre commune dans la dynamique de coopération intercommunale amorcée par la ville de Paris au lendemain des municipales de 2001 ?

Philippe Laurent : Je suis profondément convaincu de la nécessité de l’union et du travail en commun lorsqu’il s’agit de relever des défis tels que celui-ci : devenir une métropole de l’après-Kyoto, de dimension internationale. Les enjeux environnementaux, économiques et surtout humains de la vie urbaine ne peuvent plus aujourd’hui être conçus à l’échelle d’un territoire communal lorsque celui-ci se trouve dans un ensemble urbain dense comme le coeur de l’agglomération francilienne. L’égoïsme communal n’est à l’évidence plus de mise, même si la diversité de nos communes doit continuer de nous enrichir.

Paris Métropole est issu des rencontres et nombreux travaux engagés dès la fin 2001 de façon informelle d’abord, puis au sein de la Conférence métropolitaine qui a réuni jusqu’à 200 collectivités du territoire métropolitain lors de ses Assises en juin 2008.  En lieu et place de nous regarder en chiens de faïences et de laisser l’Etat régler seul – et sans doute assez mal, comme l’a montré le passé – la question du devenir de nos territoires, qu’il s’agit de concevoir comme une entité cohérente et globale, nous, élus locaux, avons choisi de dialoguer en passant outre nos sensibilités politiques respectives. Qu’il me soit permis de saluer au passage l’admirable travail réalisé par Pierre Mansat, adjoint au maire de Paris chargé des relations avec les collectivités territoriales d’Ile-de-France, grâce auquel ce projet collaboratif et innovant, pour ne pas dire inédit, a vu le jour.

Quatre chantiers sont prioritaires pour le syndicat : les transports d’abord, dont même l’Etat s’empare aujourd’hui, de façon assez maladroite, avec la création de la société du Grand Paris qui ne répond que très partiellement aux enjeux de la mobilité urbaine ; le logement et l’habitat, ensuite : un des problèmes majeurs de l’urbanisation du cœur urbain en Ile-de-France, c’est la question de la densité. Comment développer une offre de qualité sous cette contrainte liée au manque d’espace, comment « faire ville » ? La troisième urgence, c’est l’attention qui doit être portée au développement économique des territoires et qui permettra d’assurer leur solidarité. Selon moi, il faut aller bien au-delà de la péréquation existante (je songe ici au FSRIF[2]) et ne pas se contenter de l’améliorer : il faut pouvoir, à terme, dégager de nouvelles ressources qui permettent la mise en œuvre d’une véritable mutualisation des moyens, au service de projets métropolitains. Et c’est là le quatrième axe de travail que s’est fixé Paris Métropole : identifier quels sont projets qui relèvent de cette dimension métropolitaine.

Ce qui fait le lien entre ces différents chantiers, c’est la qualité de vie des habitants dont l’amélioration est au cœur même de la construction métropolitaine et qui doit en être le « fil rouge ».

Quelles sont les spécificités du cœur de l’agglomération parisienne ? A-t-elle rattrapé son retard dans le processus d’intégration intercommunale qui caractérise les métropoles provinciales ?

Philippe Laurent : Dans ce cœur d’agglomération, il y a d’abord la ville-centre, la « ville lumière », avec son rayonnement culturel et touristique qui confine au prestige à l’international – un rayonnement que ne dément pas la venue de millions de visiteurs dans la capitale chaque année et qui en fait la métropole la plus fréquentée au monde. Paris est également une collectivité double, à la fois département et commune, elle est le siège d’un grand nombre d’administrations d’Etat qui est donc particulièrement intéressé à son devenir. Mais l’arbre, hélas, cache la forêt d’un quotidien de plus en plus difficile à vivre difficile pour bon nombre de ses habitants, un quotidien fait d’attentes excessivement longues dans les transports, d’une ségrégation sociale et spatiale aux conséquences dramatiques en terme d’emploi, de création d’entreprises, ou encore d’habitat et de logement – je pense ici au clivage nord-est – sud-ouest en particulier, mais aussi aux interactions à développer entre la « grande » et la « petite » couronne. La pensée même de « poches » où le taux de chômage atteint 30 % chez les jeunes, dans une région qui draine près de 30% du PIB national, est intolérable.

Pour comprendre le retard effectivement pris par l’agglomération parisienne, il suffit d’aller à Lyon, à Nantes, à Lille, à Bordeaux, à Strasbourg ou encore à Rennes, qui sont passées d’un statut de zones urbaines parfois ravagées par les crises successives du secteur industriel au statut de métropoles véritablement dynamiques et attractives, y compris au niveau international pour certaines. Oui, à l’aune de la mobilisation et de la prise en main par les élus de ces agglomérations de leur destin, la métropole parisienne accuse un retard considérable, tant dans la prise de conscience des élus – enfin en marche – que dans la mise en place des outils techniques et financiers – freinée tant qu’il peut par l’Etat qui ne cesse, en réalité, de redouter l’émergence de cette métropole qu’il craint de ne pouvoir contrôler. Comme s’il en avait encore les moyens !

Et puis il faut travailler à faire émerger une véritable conscience métropolitaine au sein de la population. Celle-ci existe déjà, je le crois, de manière latente. Il nous faut la révéler davantage, gommer définitivement les stigmates du passé, bref, « faire ville ».

Dans l’imaginaire collectif, Sceaux fait figure de ville bourgeoise et paisible qui ne semble pas touchée par les maux de la civilisation urbaine que connaissent de nombreuses communes populaires de l’agglomération parisienne. Comment peut-on instaurer une réelle solidarité métropolitaine qui ouvre sur une meilleure répartition des richesses ? Le « patriotisme de clocher » scéen est-il réellement compatible avec une conception solidaire de la métropole francilienne qui induirait une mutualisation de la taxe professionnelle, la construction de logements sociaux mieux répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain et l’institution, peut-être à terme, d’un gouvernement d’agglomération légitimé par le suffrage universel ?

Philippe Laurent : Contre toutes les apparences, dont je rappelle qu’il faut toujours se méfier, Sceaux n’est pas une commune « riche » au sens propre : elle ne dispose pas de la ressource majeure qu’est la taxe professionnelle, à la différence de ses proches voisins. On peut affirmer en revanche, que ses habitants vivent globalement de manière plus aisée qu’ailleurs, puisque le revenu médian à Sceaux se situe autour de 5 000 €. Pour les raisons que j’ai évoquées plus haut, et notamment la qualité de vie et la situation géographique, Sceaux attire cette population aisée, la seule à pouvoir devenir propriétaire dans une commune où les biens immobiliers sont rares, donc relativement chers. Quant au côté « paisible » de la ville, tout dépend du point de vue d’où l’on parle, car en tant qu’édile je puis vous assurer que sa gestion n’est pas toujours un long fleuve tranquille !

Mais venons-en à la solidarité métropolitaine. Aujourd’hui, le sort de la taxe professionnelle semble scellé. Il faut à l’évidence trouver de nouvelles ressources qui maintiennent le lien entre l’activité économique et le territoire sur lequel elle est implantée et dont elle est à la fois le moteur et l’usager car une entreprise sur un territoire, c’est une richesse mais aussi un coût que les pouvoirs publics prennent en charge, en terme d’infrastructures notamment (routières, énergétiques). Il importe de trouver une solution qui ne sera viable que si elle est pensée à la bonne échelle, l’échelle métropolitaine.

Sceaux est certes fière de son identité et de ses spécificités. Mais cela n’en fait pas une commune fermée et repliée sur elle-même ! Le « patriotisme de clocher », s’il fût réel en son temps, comme vous le montrez dans cet ouvrage, n’a guère plus cours aujourd’hui. Si jamais l’histoire a un sens, nous serions totalement à contre-courant ! L’ouverture de la commune aux autres, c’est cela que j’essaye de porter à travers mon engagement de maire au sein de Paris Métropole. Le développement des communes de l’agglomération parisienne, le bien-être des citoyens qui y naissent, apprennent, se forment, travaillent, sortent, se cultivent, bref, qui y vivent, passe nécessairement par ce changement d’échelle : des « clochers » éparpillés à la métropole cohérente. C’est la solidarité qui en sera, précisément, le ciment. Au cœur de l’affaire, il y a une vision éthique, politique au sens propre, et humaniste. L’attractivité économique n’est jamais une fin en soi ; l’intérêt général, en ce qu’il garantit à chacun les moyens du bien-être individuel et du « vivre ensemble » collectif, si.

Comment imaginez-vous le Grand Paris d’ici une trentaine d’années, quelles en seraient les limites et quelle place conserveraient les communes dans ce nouveau paysage institutionnel et géopolitique ?

Philippe Laurent : Le futur Grand Paris ne ressemblera sans doute pas à ce qu’on peut constater aujourd’hui à travers les exemples du Greater London ou à Barcelone, pas plus qu’aux « IBA » de nos voisins allemands. Toutefois l’observation de ces expériences nous sont utiles. Je me prends à rêver d’une communauté urbaine harmonieuse et à dimension humaine faite par la population pour la population, donc fondée sur la démocratie.

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