Père Georges : une force de caractère au service de l’Eglise d’aujourd’hui

Une version résumée de ce texte a été publiée par le Huffington Post le 2 janvier 2014. Ce témoignage é été rédigé quelques heures après l’annonce de la libération du père Georges Vandenbeusch, le 31 décembre 2013. Il avait été enlevé le 13 novembre dans le Nord-Cameroun, où il était curé d’une paroisse du diocèse de Maroua, après avoir été curé de Sceaux de 2002 à 2011.

Je me rappelle de ma première rencontre avec le Père Georges Vandenbeusch, jeune prêtre d’une trentaine d’années, lorsqu’il a été nommé curé de Sceaux, en septembre 2002. J’étais moi-même maire depuis 18 mois seulement, et j’avais été frappé de l’impression de sérénité et de grande solidité qu’il dégageait, de sa force de caractère malgré son jeune âge et son expérience de prêtre encore limitée. J’en ai conçu immédiatement un grand respect pour son engagement, qui était bien sûr d’abord pastoral, et aussi très humaniste et, oserai-je dire, institutionnel. Ce respect s’est évidemment trouvé renforcé lorsque j’ai appris – non de lui, car il était très discret à ce sujet – les évènements dramatiques qui ont marqué sa vie d’enfant.

Les neuf années que le Père Georges a passées à la direction de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Sceaux ont été particulièrement riches. Elles ont fait évoluer considérablement, à bien des égards, tant le fonctionnement de la paroisse elle-même, que ses rapports avec les autres acteurs de notre territoire communal. Le Père Georges possédait une conscience forte d’incarner localement l’institution qu’est l’Eglise, et il voulait dès lors l’ouvrir davantage sur la ville, tout en assumant pleinement ses responsabilités paroissiales. C’est ce qui a fait de lui, pour le maire que je suis, un véritable partenaire dans bien des circonstances : l’attention portée aux familles et aux jeunes par exemple, qui a été – et reste ! – l’une de nos priorités communes.

A Sceaux, nous accueillons deux collèges et trois lycées, sans compter une faculté, une école d’ingénieurs, un IUT et les classes préparatoires. En dehors des écoles primaires, plus de 12 000 collégiens, lycéens et étudiants ! L’aumônerie est une institution plus que cinquantenaire : nombre de dirigeant(e) actuel(le)s en tous domaines y sont passé(e)s. Georges s’y est fortement impliqué, a su accompagner l’équipe et lui insuffler un nouveau dynamisme. Les jeunes, d’ailleurs, ont été très présents tout au long des presque sept semaines de captivité, participant en nombre aux veillées du jeudi soir à l’église et à d’autres actions pour entretenir la présence de Georges parmi nous.

Autre exemple de l’engagement institutionnel du Père Georges : une partie des locaux paroissiaux était vétuste. Georges a compris rapidement que l’échange et le partage, outre la bonne volonté, nécessitaient aussi des locaux adaptés. La ville, de son côté, souhaitait rendre plus qualitatifs les abords immédiats de l’église. Ce fut un dossier complexe et passionnant : il a fallu, ensemble, négocier avec l’architecte des Bâtiments de France sur le projet contemporain élaboré par un architecte proche de la paroisse, clarifier les propriétés foncières entre la ville et le diocèse, élaborer de concert l’aménagement des abords … Un chantier de plusieurs années, dans lequel le Père Georges s’est comporté en maître d’ouvrage parfaitement conscient de ses responsabilités séculières.

Et puis, nous avons, là encore ensemble, abordé l’énorme chantier de la rénovation de l’église elle-même, propriété communale, bâtiment classé pour partie, qui nécessite de lourds travaux à la fois de consolidation et de rénovation. Le dossier a été ouvert il y a quatre ans. Les travaux démarreront en 2014, pour au moins six années, dans une parfaite continuité avec son successeur.

Le Père Georges représente ainsi, sans aucun doute, une nouvelle génération de responsables de l’église catholique davantage engagés dans la société telle qu’elle est et dans le fonctionnement des institutions séculières. Mais pour autant, leur foi, leur attention de tous les instants aux autres, leur désir de construire la fraternité, n’en sont pas moins profondes. Et je crois que c’est précisément parce qu’il souhaitait « revenir aux fondamentaux » de sa mission pastorale, après des années de « gestion » d’une paroisse plutôt favorisée à tous points de vue, pendant lesquelles il a su incarner l’institution ecclésiastique, que Georges a choisi de prendre la responsabilité d’une paroisse au nord du Cameroun. Ce n’était nullement, de sa part, un acte insuffisamment réfléchi. Il s’était d’ailleurs ouvert discrètement de ce projet, alors que je lui demandais environ six années après son arrivée à Sceaux quels étaient ses projets, puisque la période de nomination est généralement de six ans. Avec, je le pense, l’accord et le plein soutien de l’évêque de Nanterre, Mgr Daucourt – qui a lui-même exercé sa charge de manière remarquable dans un département complexe et riche de sa diversité -, Georges a choisi de rester à Sceaux trois ans de plus pour préparer son arrivée dans une paroisse du diocèse de Maroua, avec lequel le diocèse de Nanterre pratique des échanges réguliers. Mon épouse – protestante – et moi-même avons eu le plaisir de dîner avec lui la veille de son départ pour l’Afrique, en compagnie du pasteur de l’Eglise réformée de France de Robinson (sise à Châtenay-Malabry), Philippe Kabongo-Mbaya, lui-même Congolais. C’est à cette occasion que j’ai véritablement compris la démarche à la fois intellectuelle et humaniste de Georges, la force intérieure qui est la sienne, et aussi le besoin irréductible de comprendre, de connaître, de découvrir la richesse des hommes dans leur infinie diversité, d’apporter partout et toujours l’espérance et la fraternité. Je l’ai comprise, et je l’ai admirée. Oserai-je dire que je l’ai enviée, alors même que les élus que nous sommes cherchent, à bien des égards, à développer une démarche de même nature sans malheureusement toujours y parvenir vraiment ? Sauf que nous ne sommes pas nommés … Il y aurait là bien des sujets de débats, voire de controverses !

Georges adressait régulièrement à la paroisse de Saint-Jean-Baptiste – et probablement à bien d’autres – une lettre dans laquelle il décrivait sa nouvelle paroisse, ses activités, ses difficultés aussi, parois ses doutes. Dans l’une des dernières communications, il affichait une claire conscience des dangers qu’il commençait à pressentir compte tenu de la grande instabilité politique de part et d’autre de la frontière avec le Nigéria, mais estimait que son devoir était de rester parmi ses paroissiens. On connaît la suite.

Dès l’annonce de son enlèvement, le mouvement de solidarité a été remarquable, notamment à Sceaux où Georges est connu bien au-delà de la paroisse pour ses multiples activités et sa capacité à tisser du lien. La ville s’est tout de suite associée à la famille de Georges, aux autorités diocésaines et aux services de l’Etat, qui ont constitué le comité de soutien officiel. La collaboration a été parfaite, sans aucune fausse note. Et le maire que je suis a pu dire sa fierté de cette mobilisation à la fois ardente et sereine de toute une population, à laquelle le Père Jean-Grégoire, successeur du Père Georges à la cure de Saint-Jean-Baptiste depuis septembre 2011, et les animateurs de la paroisse, ont pris une part essentielle, faite de persévérance et de modération.

Pour ma part, j’ai bien sûr tout de suite pensé que sa capacité de résistance physique – Georges est très sportif, il a notamment joué au rugby, et pilote une moto – et sa force de caractère seraient bien évidemment des atouts dans la redoutable épreuve qui l’attendait. J’ai entendu parler de la « colère » qui était la sienne – et qu’il aurait manifesté à ses ravisseurs – au moment de son enlèvement. Le mot n’est sans doute pas le plus juste, mais je le comprends comme la réaction de quelqu’un qui aurait sans aucun doute été capable – sans que de tels actes soient nécessaires – d’engager la discussion, de chercher à comprendre ce qui motivait ces hommes, de faire appel à leur humanité, précisément, pour tenter de les convaincre d’emprunter d’autres voies. A l’heure où j’écris ces lignes (le 1er janvier 2014, lendemain de la libération de Georges), et alors que je n’ai pas encore eu l’occasion d’échanger avec Georges, j’entends de la part de Boko Haram que cette libération serait intervenue « par compassion et sans rançon ». Si c’est le cas – et il n’y a pas de raison d’en douter -, et même si d’autres influences ont sans aucun doute considérablement joué, je suis convaincu que Georges aura tout fait pour engager le dialogue avec ses ravisseurs, et probablement y est-il au moins en partie parvenu, grâce à la force intérieure qui est la sienne, qui l’habite depuis son enfance, et qui n’est rien d’autre qu’un immense amour de l’humanité, tout en en connaissant parfaitement les non moins immenses défauts.

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