Oui, l’architecture est d’intérêt public

Depuis que l’architecture existe comme discipline, sa place fait débat. En France, comme objet politique, elle a alterné entre équipement et culture. Discipline au service d’une vision globale, de contraintes et de politiques publiques pour les uns, art du patrimoine pour les autres, la complexité de son approche ne peut tout simplement pas se contenter d’un seul traitement. Quelle que soit la case dans laquelle on la range, une chose est néanmoins certaine : l’architecture a un rôle social car elle traite du cadre de vie, de la façon d’habiter et de vivre, et, en cela, de la capacité à créer du lien social.

La loi du 3 janvier 1977 – dont nous fêtons les quarante ans en 2017 – définit d’abord l’architecture comme étant d’ « intérêt public ». Elle organise la profession d’architecte et définit son mode d’exercice comme son champ d’intervention. Elle crée aussi les conseils d’architectures, d’urbanisme et d’environnement (CAUE), organisations originales associant l’Etat, les élus et les professionnels dans un objectif général d’amélioration de la qualité architecturale. Ce dispositif législatif a été complété par le décret du 20 mars 1980 portant code des devoirs professionnels des architectes. Il s’agit d’un texte majeur pour la profession, mais aussi pour les paysages de notre pays et le cadre de vie de chacun. 

Indubitablement, l’urbanisme est en prise avec les enjeux d’une époque. L’histoire du monde se lit à travers la cité : son organisation politique, culturelle, économique et sociale comme son plan urbain ou l’architecture de ses bâtiments. Aristote via son élève Alexandre-le-Grand, Jules César, Vauban, les conquistadors, les oligarques de la Sérénissime, les préfets de Paris de Napoléon III … les exemples de constructeurs théoriciens ne manquent pas ! 

Mais revenons-en à des enjeux contemporains : les mobilités, l’économie, le développement durable et le big data. Le fait métropolitain est désormais une réalité à Paris. Portée par un besoin d’améliorer la qualité de vie de ses habitants et de ses usagers, de répondre à une dynamique politico-économique (Jeux Olympiques 2024 et Exposition universelle 2025) et de rompre avec l’image d’une ville musée, la métropole est aujourd’hui dans une logique de projets d’une ampleur inédite (Grand Paris Express, sites « Inventons la Métropole », investissements de la Région et des communes dans la création d’éco-quartiers et la rénovation de logements…).   

Ces projets conduisent à une explosion d’innovations architecturales, d’approches renouvelées, qui structureront la capitale pour le siècle à venir. Aussi, la responsabilité des architectes sera lourde. Elle appellera à tenir compte des erreurs du passé et à répondre à une tension entre globalité et proximité. Globalité car les territoires qui composent la métropole sont d’abord faits de « flux » (de populations, de marchandises, d’informations), et appartiennent d’une certaine façon à tout le monde. Proximité car la ville est, doit être d’abord lien social. Il s’agira de rompre avec la ghettoïsation, l’enclavement, les friches et de créer une vie de quartier qui ne peut être qu’écoles, crèches, commerces, cafés et restaurants, cabinets de santé, équipements sportifs et culturels, lieux de partage… 

C’est parce que le maire est quasiment le seul (ou le dernier) à être conscient de cette tension entre global et local, parce qu’il la vit tous les jours dans son mandat nécessairement fait de vision à long terme et d’attention au quotidien, que le maire et l’architecte forment un couple utile et nécessaire, co-responsables de l’avenir du vivre ensemble. Créateurs et politiques ont beaucoup à apprendre les uns des autres. La connaissance des réalités territoriales d’une part et la compréhension de contraintes techniques d’autre part améliorent les projets, et par là même le quotidien des habitants. Les CAUE jouent ce rôle : ils sont force de propositions et de conseils auprès des élus comme auprès de la population, ils contribuent à la diffusion de la culture architecturale. Ils doivent être renforcés dans leur vocation originelle et originale, et non assimilés à des « agences techniques » comme cela semble se passer, malheureusement, dans certains départements. 

Le cœur vivant d’une ville est un élément essentiel à la création et au maintien du lien social. La ville est l’espace dans laquelle nous vivons, nous travaillons, nous nous divertissons. Elle est lieu de rencontres et d’échanges. Sa planification ne saurait être autre que d’intérêt public. Ce que la loi de 1977 a confirmé comme une évidence, et qu’il nous faut répéter. Grande est donc l’implication des architectes dans le monde que nous construisons. Grande doit donc être la place que nous leur accordons, aux côtés des maires, véritables faiseurs de la ville de demain.

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