Moins de pouvoir fiscal, moins de libertés locales !

La suppression de la taxe professionnelle et le mécanisme effroyablement complexe mis en oeuvre en compensation – et malgré le remarquable travail des parlementaires, qui sont allé au bout de ce qui était possible dans l’amélioration du texte – font une victime certaine : le pouvoir fiscal des assemblées politiques locales. En effet, la « nationalisation » de la contribution à la valeur ajoutée fait perdre aux élus locaux la capacité de voter le taux d’impôt, donc la possibilité de faire varier leurs ressources, à hauteur d’environ 30% globalement. Moins pour le « bloc communal », mais beaucoup plus pour les départements et les régions.

C’est la principale victoire de certains milieux économiques : dès le début de l’existence de la taxe professionnelle, il y a plus de trente ans, des voix se sont en effet élevées pour demander la suppression du pouvoir de taux des collectivités locales. Une première satisfaction leur a été donnée avec la liaison étroite de l’évolution des taux d’impôts, entre impôts sur les ménages et taxe professionnelle. Cela finit avec la suppression quasi-complète du pouvoir de taux, alors même que l’assiette combinée des nouveaux impôts – qui réintroduit les salaires par le biais de la valeur ajoutée – ressemble furieusement à la taxe professionnelle d’avant 1999.

Cela, le pouvoir central ne le dit pas. Il se retranche derrière le respect formel des dispositions constitutionnelles sur l’autonomie « financière », dont on sait depuis leur adoption, en 2004, qu’elles ne sont qu’un leurre, dans la mesure où la définition des « ressources propres » ne correspond aucunement à des ressources dont les élus fixent le montant. Il oppose une lecture formelle et juridique de l’autonomie à une lecture politique de la libre administration locale. Le pouvoir central est, clairement, centralisateur et jacobin, même s’il ne veut pas l’assumer.

Dans notre pays, où l’on ne partage pas l’impôt national à l’inverse de la plupart des pays développés, l’autonomie fiscale, c’est-à-dire la capacité que doivent avoir les assemblées locales élues au suffrage universel et participant de la définition et de la mise en œuvre de l’intérêt général de voter des impôts qui leur soient propres, est une condition absolument nécessaire de la libre administration des libertés locales.

C’est, en même temps, un formidable outil de responsabilisation quant au niveau des dépenses publiques. Celui qui décide de la dépense doit aussi porter la responsabilité de la recette. C’est enfin, comme nous l’a appris Montesquieu, la marque profonde du fonctionnement démocratique de notre société.

Hélas, l’histoire montre qu’un pouvoir fiscal abandonné ne se reconquiert généralement pas, tant la tentation du contrôle total de la gestion publique par le pouvoir central est toujours prégnante dans la culture – qui reste éminemment jacobine – de notre système politique. Cette situation prévaut également, du reste, dans des pays voisins dont la culture politique est très différente : même dans les Etats à structure fédérale, l’affrontement est parfois intense entre les pouvoirs fédérés et le pouvoir fédéral. La crise économique et sociale, qui met à l’épreuve les finances publiques nationales, est le prétexte commode à la recentralisation des pouvoirs, en pleine contradiction avec la charte européenne de l’autonomie locale et le principe de subsidiarité pourtant signée – avec hésitation certes – par la France. C’est une erreur majeure des gouvernements : partout, les collectivités locales ont joué le rôle d’amortisseur au quotidien des effets de la crise, notamment auprès des plus faibles. Les priver de moyens, c’est courir le risque d’une destruction du lien social et d’une explosion incontrôlée de la société. L’œil rivé sur le court terme et les préoccupations électoralistes, les gouvernements centraux semblent incapables de le comprendre.

Nous ne sommes toujours pas, dans notre pays, en présence de la construction d’un système de financement pérenne et responsabilisant de l’action publique locale. C’est la signification et la portée même de l’impôt, en tant qu’instrument primordial de la solidarité, en tant que synonyme de contribution et de participation à la construction d’un projet collectif, qui disparaît sous des réformes et des mesures exceptionnelles (taxe professionnelle, grand emprunt national, taxe carbone, …) dont on a parfois du mal à percevoir le bien-fondé et leur contribution réelle à la satisfaction de l’intérêt général.

Il nous appartient maintenant, après le triste vaudeville de la taxe professionnelle et de son remplacement, de redéfinir le cadre global de notre système fiscal en cessant de faire le contraire de ce qu’on déclare. Quelle répartition des pouvoirs en France ? Quel partage de la responsabilité de l’action publique, et, par voie de conséquence, des ressources publiques ? Doit-on en définitive renoncer à la décentralisation, c’est-à-dire à la mise en œuvre du principe de subsidiarité et l’autonomie de décision locale, et à sa condition nécessaire, le pouvoir fiscal local ? Il ne serait assurément pas digne de la démocratie française que la réponse à une question d’essence éminemment politique, qui engage aussi fortement l’avenir de notre pays, ne soit apportée que par une approche comptable esquissée sous la pression de quelques dirigeants patronaux, pas davantage qu’en prenant en considération les résultats des prochaines élections régionales …

Pour ma part, convaincu et effrayé de l’erreur historique que notre pays est en train de commettre en instituant une forme de guerre permanente entre le pouvoir central, réputé à droite, et les pouvoirs locaux, qui resteront en majorité à gauche – parce que le pouvoir central lui-même le veut, pour mieux les détruire -, je serai de ceux qui, dans les prochains mois, se battront pour la restauration du pouvoir fiscal local, comme d’ailleurs le demande clairement la motion finale du dernier congrès de l’association des Maires de France.

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