« La métropole doit être une instance politique, pas un syndicat »

Interview parue dans le Journal du Grand Paris, le 4 septembre 2019

Quel bilan tirez-vous des dispositions franciliennes de la loi NOTRe ?

S’agissant du Grand Paris, la loi NOTRe résulte d’un compromis boiteux, ce que nous avions dénoncé en son temps. Selon ses concepteurs, le système mis en place était d’ailleurs provisoire, d’où le retour prévu de la CFE à la Métropole en 2021. Mais en même temps, la loi transférait autoritairement les compétences PLU et aménagement, qui sont des compétences stratégiques, à des structures auxquelles elle ne croyait donc pas, à savoir les EPT.

Ces structures hybrides, mi-syndicat de gestion et mi-communauté (la meilleure preuve de ce caractère hybride est fourni par le fait que, pour le statut des DGS, ce sont les règles des communautés qui s’appliquent, et pour les indemnités des élus, ce sont les règles des syndicats !), ne fonctionnent pas toujours de manière satisfaisante dans plusieurs domaines et ont considérablement alourdi la gestion locale (par exemple en matière d’aménagement ou de maîtrise foncière). Ce ne sont naturellement pas les personnes qui sont en cause, mais le système lui-même qui complexifie à l’extrême et conduit inévitablement vers l’inflation technocratique en dessaisissant de fait les maires, qui disposent pourtant seuls de la légitimité démocratique.

Vous estimez en quelque sorte qu’en zone dense de l’Ile-de-France, les communes se suffisent à elles-mêmes ?

La plupart des communes sont en effet d’une taille suffisante (30 000 habitants en moyenne, hors Paris) pour proposer seules tous les services du quotidien à leurs habitants, élaborer les documents d’urbanisme et conduire des opérations d’aménagement, avec éventuellement des partenaires librement choisis. Les périmètres des EPT ont été imposés par l’Etat, qui plus est (sauf exception) à l’intérieur des limites départementales, alors même que d’autres projets de territoire pré-existaient (par exemple la Vallée scientifique de la Bièvre). Les transferts de compétence ont également été imposés.

Cette loi n’a pas été respectueuse des communes, qui sont pourtant les institutions les plus solidement établies de la Métropole (et que d’ailleurs personne n’a jamais remises en cause). Elles disposent d’une forte légitimité aux yeux des habitants. Leur administration est compétente et dotée d’une grande expérience, d’un savoir-faire développé et de procédures éprouvées. Elles ont la culture du résultat et de l’efficacité. Les maires jouissent d’une autorité certaine et reconnue et connaissent parfaitement leur territoire et leurs habitants. Il faut donc leur redonner la plénitude de leurs compétences, comme l’a d’ailleurs demandé l’Association des maires de France au printemps. Ils n’en seront que plus sereins pour travailler ensemble au sein de la Métropole et rechercher les consensus les plus larges.

Quelles mesures préconisez-vous alors que le transfert de la CFE à la métropole est prévu pour 2021 ?

Je suis favorable au maintien de cette disposition de la loi NOTRe. Les EPT doivent redevenir des syndicats intercommunaux sans fiscalité propre pour gérer les services à caractère industriel et certains équipements publics, selon le souhait des maires. Naturellement, si les maires des communes membres de tel ou tel EPT veulent unanimement transférer davantage, y compris le PLU, libre à eux. Mais qu’on ne l’impose pas à tous.

J’ajoute que la mise en œuvre du transfert de CFE conduirait à une harmonisation des taux de CFE sur l’ensemble de la Métropole (et donc l’augmentation des taux sur les territoires les mieux dotés et sa diminution sur les autres, les rendant plus attractifs pour les acteurs économiques), ce qui est tout de même la logique de la solidarité territoriale que tout le monde souhaite – en tout cas en paroles – et qui est une condition nécessaire du rayonnement et de l’attractivité du Grand Paris.

La véritable intercommunalité stratégique et politique, c’est à l’évidence la Métropole. Les habitants se réfèrent à leur commune ou à l’agglomération parisienne, pas à un « territoire » qu’ils perçoivent comme une construction technique et pas comme un « bassin de vie ». C’est pourquoi le Conseil métropolitain doit bien être composé par fléchage des listes lors des élections municipales, selon les règles déjà en vigueur pour les communautés, alors que les conseils territoriaux doivent être l’émanation des désignations de chaque conseil municipal, comme pour un conseil syndical.

Quel bilan comparé tirez-vous de l’activité des EPT d’une part et de la métropole du Grand Paris d’autre part ?

En réalité, tout ce qui a continué d’avancer opérationnellement depuis la mise en œuvre de la loi a été d’abord le fait des communes, y compris l’aménagement, y compris en « tordant » un peu la question lancinante des compétences. Certes, les EPT dont le périmètre pré-existait ont sans doute poursuivi sur leur lancée, mais les autres ont souvent stagné, car la dynamique intercommunale a du mal à prendre et ne se justifie pas par un intérêt commun assez fort, en tout cas ressenti comme tel.

Beaucoup de maires s’en détournent donc, s’en méfient parfois et cherchent même à s’en protéger, comme dans le domaine du logement social où des stratégies d’évitement ont été imaginées pour ne pas voir la tutelle de l’EPT s’instaurer sur tous les bailleurs sociaux, comme le veut la loi ELAN qui est allé encore plus loin que la loi NOTRe en ce domaine. Naturellement, il y a eu aussi des éléments positifs : ceux-ci résultent pour l’essentiel de démarches de coopération et de mutualisation techniques, qui auraient pu tout aussi bien trouver leur place dans une construction syndicale.

La Métropole, quant à elle, a engagé les réflexions stratégiques sur ses domaines de compétence propres, au rythme permis par une gouvernance voulue – à juste titre – la plus partagée possible. Elle doit se voir dotée d’une capacité d’encadrement des PLU communaux dans le cadre du SCOT métropolitain, afin d’assurer une cohérence de développement sur l’ensemble du territoire, mais sans aller jusqu’à régler dans le détail le zonage et les règles de chaque PLU, ni la politique patrimoniale de chaque commune. Bien entendu, la légitimité de la Métropole s’appuiera sur la recherche constante du consensus le plus large. Cela prend nécessairement du temps. A Lyon par exemple, la « métropolisation » a commencé il y a plus de 50 ans.

Reste la question complexe de la coexistence de la Métropole et de la Région. De mon point de vue, un rapprochement serait parfaitement possible, en contractualisant par exemple sur les schémas, car les deux institutions sont étroitement complémentaires dans leurs compétences, mais à condition que soit clairement définie la place des maires. En quatre ans, aucune proposition solide n’a été émise, aucune discussion sérieuse n’a eu lieu, aucune recherche approfondie n’a été menée en la matière. C’est dommage.

Que pensez-vous de l’idée de transformer la métropole en un syndicat mixte, et de créer un fonds d’investissement d’ampleur, sur le modèle du fonds d’investissement interdépartemental ?

La Métropole doit être une instance politique, pas un syndicat. C’est d’ailleurs la condition d’un bon fonctionnement d’un fonds d’investissement qui ne consiste pas seulement à opérer des transferts financiers d’une commune à une autre à une autre (cela, le fonds de solidarité d’Ile-de-France, le FSRIF, le fait déjà), mais à décider d’investissements lourds qui présentent un intérêt métropolitain et dont la maîtrise d’ouvrage (donc une partie significative du financement) est assurée par la Métropole elle-même.

A l’heure actuelle, la Métropole dispose déjà d’un fonds d’accompagnement des communes dont le montant est fonction des moyens dont dispose la Métropole, eux-mêmes dépendant de l’équation fiscale et victimes des mécanismes généraux de péréquation nationale défavorables qui conduisent à la baisse des dotations et compensations.

Il faut que chacun – y compris au gouvernement – comprenne bien que si la Métropole ne dispose pas d’une ressource fiscale solide, évolutive et représentative de la capacité contributive de son territoire, de ses acteurs et de ses habitants, ceci sans obérer les moyens des communes et de leurs syndicats qui doivent continuer à assurer leurs compétences de proximité dans de bonnes conditions, alors la recherche d’une métropolisation équilibrée, attractive et inclusive ne pourra que décevoir et échouer. Cela aurait inévitablement de graves conséquences pour la région et pour le pays tout entier.

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