L’ardente obligation de la négociation

La Gazette- novembre 2007

Depuis cent ans qu’existe l’Association des maires de France, son combat principal a été celui des finances. Même si elle a pu s’exprimer de façon diverse au fil des congrès, voire des manifestations de rue – car il y en a eu, par les maires eux-mêmes ! -, la question du financement de l’action publique locale a toujours été au coeur de l’opposition parfois très vive, voire violente, des maires face au pouvoir central et de leurs revendications pour l’obtention de ressources pérennes et autonomes.

L’un des épisodes les plus emblématiques de cette « lutte » a sans aucun doute été l’affaire du remboursement de la TVA sur les investissements, qui a abouti à la création du FCTVA et que j’évoquais dans ces colonnes il y a quelques mois comme étant l’une des « victoires » des élus locaux en matière financière. Rien de plus logique, en réalité : loin d’être une affaire d’experts, la question des finances publiques est éminemment politique. Depuis toujours, c’est bien le pouvoir fiscal qui confère le pouvoir tout court. C’est pourquoi les élus, par la voix de leurs trois principales associations (AMF, ADF et ARF), ont pris l’initiative d’un travail commun, élaboré sur la base du rapport du Conseil économique et social établi à leur demande. Ils viennent de publier leurs propositions communes sur la réforme nécessaire et urgente de la fiscalité directe locale, considérant qu’il s’agit là de la clé de voûte de tout l’équilibre non seulement financier, mais également institutionnel de notre architecture publique. Parmi ces propositions figure d’ailleurs la modification en profondeur de la loi organique portant sur l’autonomie financière , pour laquelle les élus demandent à nouveau une redéfinition de la notion de « ressources propres » allant dans le sens du combat, non couronné de succès à l’époque, de Daniel Hoeffel au Sénat.

Or, dans cette approche « autonome » des finances locales, et sans doute davantage préoccupés par la juste compensation du coût des transferts de compétences, nous n’avons probablement pas prêté suffisamment d’attention aux conséquences du traité de Maastricht et des fameux « critères de convergence » devenus l’alpha et l’oméga de toute gestion publique. En effet, ces critères[1] entraînent une approche « consolidée », agrégeant les besoins de financement et la dette de l’Etat et de l’ensemble des autres acteurs publics. Etrange approche, en vérité, tant la nature et le mode de fonctionnement et de gouvernance de ces trois acteurs que sont l’Etat, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale sont différents ! Pourtant, c’est bien cette approche qui, du point de vue de l’Etat, prédomine désormais : une nouvelle et importante preuve en a été apportée par l’intitulé même du ministère des « Comptes publics », et pas seulement du « Budget de l’Etat ». Seul responsable aux yeux de Bruxelles du respect des fameux critères, le pouvoir central utilise désormais sans retenue ce prétexte pour mettre « sous contrôle » les finances locales et, partant, les assemblées locales.

La tutelle par la dépense et la recette se substitue à l’ancienne tutelle de légalité et de compétence technique. Dans ce mouvement profond de recentralisation, la France n’est pas isolée : tous les pays d’Europe, y compris les pays à culture fédérale, connaissent la même évolution sous couvert de bonne gestion des finances publiques globales. Le plus étrange, dans cette affaire, c’est que ces fameux critères, au nom desquels la répartition du pouvoir politique dans nos pays change de nature – excusez du peu -, sont rien moins que pertinents sur le fond. Leur définition et leur niveau ont été fixés à une époque prospère, sur un coin de table, sans analyse approfondie. Ils ne correspondent qu’à une approche purement budgétaire de « comptes de cuisine », sans aucune logique économique : quel est donc le sens de l’agrégation d’une dette qui couvre un vrai déficit de fonctionnement et donc une consommation immédiate, et d’une dette qui finance la construction d’infrastructures dont profiteront les générations futures ?

Les élus locaux sont ainsi devenus les otages de la sur-médiatisation des fameux « critères », et avec eux, le service public local et, finalement, tous nos concitoyens qui utilisent et ont besoin dans leur vie quotidienne de l’action publique locale, même sans toujours s’en rendre compte. Il n’y a désormais qu’une seule façon d’en sortir par le haut : une forme nouvelle de relations à instaurer entre l’Etat et les élus locaux, fondée sur le constat de politiques publiques très largement partagées et de ressources qui doivent donc l’être également et sur l’émergence – enfin – d’une nouvelle culture de la négociation – et pas seulement de la concertation. Les élus locaux, habitués à la recherche de consensus, y sont prêts, à la condition que cessent enfin les discours accusatoires. Reste l’appareil d’Etat : le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il lui faudra effectuer un gros effort sur lui-même et ses certitudes pour enfin admettre cette ardente obligation de la négociation.

 

 

[1]Notamment les ratios du besoin de financement (improprement appelé « déficit ») et de l’encours de la dette par rapport au PIB.

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