Dépenses « publiques » ou dépenses « collectives » ?

Le 6 août dernier, le Conseil constitutionnel censurait l’un des dispositifs majeurs du « pacte de responsabilité », voté par le Parlement juste avant l’été. En effet, le Conseil a estimé non conforme à la Constitution l’allègement des cotisations sociales payées par les salariés rémunérés entre 1et 1,3 fois le SMIC. Motif : un tel système « méconnait le principe d’égalité », puisque certains salariés auraient eu ainsi droit à bénéficier des mêmes prestations sociales sans cotiser ou en cotisant moins que d’autres. Le Conseil estime donc que la mesure en cause « introduirait une différence de traitement qui ne repose pas sur une différence de situation entre les assurés d’un même régime de sécurité sociale ».

Ce faisant, le Conseil ne fait que confirmer une évidence pourtant largement ignorée : les cotisations sociales ne sont pas des impôts. Elles n’ont pas vocation à assurer le financement global des charges publiques et collectives d’une nation, mais à ouvrir des droits à des prestations sociales, rien de moins, mais rien de plus. Et elles ne sont classées dans la catégorie statistique des prélèvements obligatoires que parce qu’il est désormais considéré – à la différence de ce qui était entendu à la création du système de sécurité sociale – que les caisses sociales sont des caisses publiques – alors qu’elles ont bien le statut d’organismes de droit privé. Autrement dit, à supposer que les cotisations sociales restent obligatoires, mais qu’elles soient versées à des assurances privées ou à des mutuelles, elles sortiraient statistiquement du champ des prélèvements obligatoires. Voici qui éclaire d’un jour quelque peu différent le débat sur le haut niveau de prélèvements obligatoires en France : dans la plupart des autres pays développés, à niveau de couverture et de mutualisation des risques sociaux égaux, les montants cotisés seraient grosso-modo les mêmes. La différence provient « seulement », pourrait-on dire, du statut considéré des caisses.

De la même manière, l’assimilation propre à la France de la quasi-totalité des dépenses « sociales » (santé, retraite, famille, …) à des « dépenses publiques » vient aussi fausser les comparaisons avec les autres pays. Par exemple, la fixation au 28 juillet du jour de « libération fiscale » en France est une véritable ânerie, puisqu’il prend en compte aussi les cotisations sociales, et donc ce qui sert à payer les dépenses de santé, de retraite, etc., alors que dans d’autres pays ces dépenses sont assumées directement par les gens qui, le cas échéant, se seront assurés et auront donc déboursés, à titre privé, des primes d’assurance qui ne sont naturellement pas comptabilisées dans les « impôts ». A cela, d’aucuns répondent : certes, mais au moins nous aurions la possibilité de choisir notre couverture sociale. Le système français, assez peu répandu, a effectivement fait le choix politique d’une mutualisation très large de la prise en charge du système de soins : cela a le mérite d’exprimer une forme majeure de solidarité nationale, mais l’inconvénient de pousser à l’irresponsabilité personnelle : surconsommation de médicaments, médiocre hygiène de vie, culture insuffisante de la prévention. Mais ce n’est pas parce que nous utilisons mal notre système que celui-ci est forcément mauvais !

Le risque est bien que la mesure très largement imparfaite de concepts généraux, comme les prélèvements obligatoires ou le niveau de dépenses publiques, et sa comparaison avec ce qui se passe ailleurs, dans des organisations forcément différentes, amène les dirigeants à manipuler l’opinion publique et à prendre de mauvaises décisions politiques, dangereuses pour le long terme. C’est exactement ce qui est en train de se passer en France depuis des années.

Un récent rapport de France Stratégies lève d’ailleurs un coin du voile, en établissant que plus de 80% de l’écart du niveau de dépenses « collectives » (terme que l’on préfèrera à « publiques ») entre la France et la moyenne des pays de la zone euro est dû aux dépenses sociales, et notamment des retraites : la France leur consacre près de 14% de son PIB, contre moins de 10% en Allemagne. Ce qui signifie a contrario que les dépenses publiques stricto sensu, qui financent l’éducation, la sécurité intérieure et extérieure et les infrastructures, sont quant à elles sensiblement au même niveau qu’ailleurs. Or, ces dépenses sont largement le fait des collectivités locales, auxquelles pourtant le gouvernement s’attaque avec une rare violence et une détermination sans faille, assuré qu’il est du soutien de la haute fonction publique d’Etat et de la presse nationale. Une démonstration, une de plus, des méfaits de la pensée unique que la France et les Français paieront très cher dans l’avenir.

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