« Décentralisation : sortir enfin de l’ambiguïté »

Les Echos – 18 avril 2007

Il n’y a pas eu d’ « Acte II ». Il y a eu, tout au plus, une réorganisation administrative voulue par l’appareil d’Etat, désireux de laisser à d’autres l’intendance, tout en continuant à fixer les règles du jeu. Les assemblées locales et leurs exécutifs n’ont gagné, dans la loi dite de « décentralisation » de 2004, aucune once de pouvoir nouveau, ni aucune marge de manœuvre financière ou fiscale.

Rien à voir avec l’ « Acte I », pour lequel Pierre Mauroy et Gaston Defferre avaient su, avec la loi de 1982, poser les fondations d’un choix politique : le transfert de l’exécutif aux présidents des assemblées départementales et régionales, la suppression de la tutelle administrative, la création de corps de contrôle indépendants.

Il s’agissait alors de modifier en profondeur l’équilibre des pouvoirs, dans le sens d’une meilleure appropriation de l’avenir des territoires par les élus locaux et, partant, d’une réponse mieux adaptée aux besoins des citoyens.

Aujourd’hui, en plein débat « présidentiel », tout se passe comme si la décentralisation était acquise et l’équilibre actuel globalement satisfaisant. Rien n’est moins vrai. L’ambiguïté subsiste, plus que jamais.

Or, la candidature à l’élection présidentielle n’est pas une affaire de boutiquiers. Elle doit avant tout exprimer une vision à long terme de la société française, de sa façon de redonner espoir et perspectives à son peuple, des principes qui doivent garantir une démocratie vivante qui donne à chacun un rôle positif. Dans cette acception, l’organisation des pouvoirs publics est une donnée essentielle.

Il ne s’agit pas seulement de décrire à l’emporte-pièce des mécaniques de fiscalité locale ou de péréquation, ou encore d’appeler à la sempiternelle clarification des compétences – expression induisant une relation de dépendance entre l’Etat et les collectivités locales -, mais, bien au-delà, de prendre position sur des principes essentiels de gouvernance d’un pays démocratique : les assemblées locales sont-elles porteuses comme l’Etat de la notion d’intérêt général ? Quelle est leur légitimité démocratique par rapport à l’Etat ? Devons-nous aller, en France, vers une forme de fédéralisme, en permettant l’adaptation des lois au contexte local ? Quelles relations – et dans quel cadre institutionnel – entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux ? Quelle répartition de la ressource fiscale entre les différents acteurs de la puissance publique ? Faute d’une réflexion approfondie et de prises de positions courageuses dans ce domaine, la gouvernance du pays n’en sera aucunement améliorée et les mêmes erreurs se reproduiront à l’infini

De tout cela, on ne parle pas dans l’actuel débat, ou si peu. Car la réponse décentralisatrice à la réforme de l’Etat fait peur à celui-ci et à ceux ou celles qui rêvent d’en devenir le chef.

En France, l’Etat a historiquement fait la nation. La République est venue ensuite. Les trois sont aujourd’hui confondus dans l’imaginaire collectif. De là vient la difficulté : beaucoup restent sincèrement convaincus que la puissance de l’Etat est la seule garantie de la survie des deux autres. Je pense exactement l’inverse. Oui, la République sera plus vigoureuse avec une organisation fédéraliste, lorsqu’elle s’incarnera davantage encore dans chaque assemblée locale. Oui, la nation constituera mieux encore notre cadre culturel de référence, lorsqu’elle considérera toute la diversité des territoires et des origines.

C’est toute la question des « corps intermédiaires » (organisations syndicales, collectivités locales, chambres consulaires, conseils consultatifs, …) de notre société française qui est ainsi posée. Comment un pays moderne, complexe et sophistiqué, dont la population dispose d’un haut niveau d’éducation – et donc d’analyse critique -, peut-il espérer avancer sans s’appuyer sur ces acteurs du pays réel ? Comment ne pas imaginer utiliser pleinement leur expérience, leur savoir-faire, leur capacité à convaincre et les mettre au service d’une stratégie nationale auparavant concertée, sur la base d’un diagnostic partagé ? Comment ne pas comprendre qu’il y a là, sans aucun doute, la véritable réserve d’énergie dont aura besoin le ou la futur(e) président(e), à la condition de savoir la révéler et la mobiliser ?

Parmi les trois principaux candidats, l’un choisit de décider « par-dessus » les corps intermédiaires, l’autre choisit de les ignorer et de décider « sans ». Le troisième est le seul qui annonce qu’il fera « avec ». C’est François Bayrou.

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