Acte de construire : le territoire livré à l’anarchie ?

Deux (petits) évènements récents sont venus donner du crédit à ceux qui redoutaient que notre pays ne soit entré dans une nouvelle époque du laisser-faire en matière de construction, alors même que nous étions parvenus, malgré le logbbying intense des promoteurs et autres aménageurs de lotissement et de maisons individuelles, à un minimum de niveau de contrôle, encore inférieur malgré tout à ce qui existe dans les pays du nord de l’Europe qui ont, eux, une vraie préoccupation de l’utilisation raisonnée de l’espace et des paysages.

Les ABF, ces mal-aimés …

Le premier de ces évènements est le vote – incompréhensible – en commission mixte paritaire de l’article supprimant la nécessité de l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France dans le cadre des ZPPAUP. Non seulement le Sénat (dont un grand nombre de membres s’étaient engagés à préserver cet avis conforme) s’est littéralement couché devant les injonctions d’un parlementaire-maire directement intéressé – ce qui au passage n’augure rien de bon a pour la future réforme territoriale -, non seulement les associtions d’élus locaux et de maires s’étaient prononcées contre cette occurence, mais encore cette décision, uniquement justifiée par les difficultés relationnelles qu’auraient certains maires avec leur ABF, risque de mettre à bas une politique de préservation du patrimoine laborieusement échafaudée depuis des décennies, en laissant le maire seul face à une multitude de pressions financières, etc … qui ne manqueront pas de se déchaîner. En outre, les recours seront légion, tant la préservation du patrimoine est soutenue par les citoyens … jusqu’au moment où ils estiment en êre personnellement victimes sur le plan financier ! Merci pour les maires, déjà les élus les plus maltraités de cette République.

Je suis donc personnellement totalement opposé à cette suppression de l’avis conforme, pour les mêmes raisons que celles qui sont données par les tenants de la suppression … mais je n’en fais pas la même analyse. En quoi l’avis conforme gêne-t-il puisque la ZPPAUP est établie conjointement par la commune et l’ABF, ce dernier agissant au nom de l’Etat ? Au contraire, l’avis conforme conforte le maire dans la gestion de la ZPPAUP. Quant aux a-priori concernant les ABF, il est faux, par exemple, de dire que les ABF bloquent les panneaux photovoltaïques. Ce sont désormais des images d’Epinal. Le dialogue permet de concilier parfaitement préservation du patrimoine et recours aux énergies renouvelables. La réflexion sur ce point doit se poursuivre en commun, mais ce n’est pas en ouvrant les vannes de la déréglementation complète qu’on s’en sortira. Au nom de la fameuse « relance », nous perdons tout notre bon sens et sommes prêts à sacrifier notre histoire, pour éviter de nous « serrer » la ceinture pendant quelque temps. Le plus triste est que ce soit des élus locaux qui raisonnent ainsi. Où est l’intérêt général ?

Urbanisme : interdit d’interdire …

Le second évènement concerne les déclarations à l’emporte-pièce du nouveau secrétaire d’Etat au Logement. « Le permis de construire est trop compliqué … il s’agit d’un vrai frein à la construction ». Le jeune homme doit confondre logement et urbanisme, mais bon … Toujours est-il qu’on nous ressort cette vieielle antienne de la réglementation tâtillone, etc … et que l’on continue dans la destruction des règles du « vivre ensemble ».

Pour ma part, je ne vois pas ce qui est si compliqué dans le permis de construire : soit ce sont des opérations conduites par les promoteurs, et il faut toujours y regarder à deux ou trois fois, (nous connaissons nos amis et leur défaut principal), soit ce sont des particuliers, et c’est souvent l’une des opérations les plus importantes de leur vie qui vaut la peine de réfléchir un minimum. Les services instructeurs ou les CAUE sont là en appui pour cela, du reste. En outre, ce qu’omet de dire le jeune secrétaire d’Etat, c’est que les documents les plus complexes sont en réalité les plans d’accessibilité et de sécurité, qui sont destinés à d’autres services que ceux chargés d’instruire à proprement parler le permis.

Cette affaire des permis de construire « trop compliqués » est l’une des rengaines des nouveaux libéraux qui jettent aux orties ce qui a été patiemment échafaudé à la lumière de l’expérience pour le remplacer par une sorte de laisser-faire dont on ne voit pas où il nous conduit … Tout est bon pour satisfaire le lobbying des grands groupes de bétonneurs, qui ne sont même plus capables de trouver des entreprises correctes pour le second oeuvre. Les prochaines étapes ? Par exemple :

  • relever le seuil au-dessous duquel l’intervention d’un architecte n’est plus obligatoire
  • interdire d’interdire, par exemple les constructions en limite de parcelle
  • supprimer la possibilité pour les communes de réglementer les clôtures
  • taxer la non-densité
  • interdire les COS inférieurs à un certain niveau
  • … on a d’autres idées, mais on va les laisser les trouver tous seuls !

Pour le coup, c’est sûr, ce pays va dans le mur … de béton.

Le signataire est maire, et également président du CAUE 92 et de l’URCAUE d’Ile-de-France

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