Eau du SEDIF : mes propositions
Vous trouverez ci-dessous le texte de l’intervention que j’ai prononcée lors de la réunion du comité syndical du Syndicat des eaux d’Ile-de-France (SEDIF) qui avait à se prononcer jeudi 11 décembre sur le mode de gestion futur de l’eau : régie directe municipale, ou délégation de service public sous forme de « régie intéressée ». Le SEDIF dessert 142 communes et produit et distribue un million de mètres cubes d’eau potable par jour, pour 4 millions d’habitants.
« Monsieur le Président, mes chers collègues,
Je souhaite d’abord remercier toutes celles et tous ceux, membres de ce comité, agents publics ou agents du régisseur, qui font fonctionner le service public de l’eau dans les communes et communautés membres de notre syndicat. On oublie trop souvent d’y insister : nous disposons en effet d’une eau d’excellente qualité, avec une sécurité d’approvisionnement très élevée, un service à l’usager jugé de très bon niveau. J’ai d’ailleurs noté que ces points n’étaient pas réellement contestés, le seul véritable élément de débat reposant sur les questions de prix.
Le sujet qui est débattu ce matin est bien entendu important et a fait l’objet d’innombrables débats, voire controverses. Pour autant, il me semble que d’autres questions, qui m’apparaissent encore plus fondamentales, devraient davantage faire l’objet de nos préoccupations.
Je pense notamment, en premier lieu, à la question de la mutualisation de la ressource et de la production en eau à l’échelle de l’ensemble de l’agglomération parisienne, dont notre syndicat représente environ la moitié. Il m’apparaît en effet, au vu de nombreuses analyses, qu’une approche globale de la question de l’eau sur l’ensemble de l’agglomération parisienne est désormais nécessaire, compte tenu de la grande multiplicité des acteurs tant géographique que sur le plan des compétences et de ce que nous savons être notamment une sur-capacité de production globale. Cette approche, qui connaît un début de démarche, pourrait d’ailleurs être utilement construite à partir d’études et d’échanges organisés au sein de Paris Métropole lorsque ce syndicat mixte d’étude sera constitué (avec, je l’espère vivement, l’appui et la participation du plus grand nombre possible des collectivités que nous représentons). Cette approche globale suppose un engagement très important de l’autorité politique, qui pourrait se révéler peu compatible avec une délégation de service public au périmètre très large dont le titulaire détiendrait de facto un poids trop important.
En second lieu, je souhaite vous faire part de ma préoccupation concernant le mode de financement du service de l’eau, indépendamment du mode de gestion retenue. C’est pour ma part un point majeur. Notre système fait reposer sur le seul consommateur d’eau le coût de l’adduction et du traitement de l’eau utilisée par le dit consommateur avant retour dans le milieu naturel, ce qui est normal. Mais il fait aussi reposer sur le consommateur d’eau le traitement des eaux pluviales et d’exhaure, ce qui représente une proportion importante, alors même que ce traitement est rendu nécessaire par l’imperméabilisation des sols qui n’a rien à voir avec le consommateur. Celui-ci diminuant régulièrement sa consommation, et les sols étant de plus en plus imperméabilisés, le coût de traitement au mètre cube ne peut qu’augmenter de manière accélérée sous cette double évolution. La loi sur l’eau était censée résoudre le problème en instituant une taxe spécifique. En réalité, le caractère très timoré de cette taxe et sa complexité montrent que le législateur – en majorité issu de zones où le problème ne se pose pas vraiment – n’a pas compris et donc n’a absolument pas pris en compte le cas particulier de la zone dense parisienne en la matière. Faute d’avoir pu saisir l’opportunité qui nous était donnée de sortir de ce cercle vicieux du financement par la récente loi sur l’eau, nous sommes condamnés à voir le prix unitaire de l’eau augmenter continûment selon le mode tarifaire actuel , même si le futur mode de gestion permet – ce que je crois possible – une baisse du prix de la fourniture d’eau. Cette baisse sera en effet plus que compensée par la hausse du coût de l’assainissement (le SIAAP par exemple envisage une hausse de sa redevance de 6% par an), et par la baisse tendancielle de la consommation qui oblige à financer des coûts fixes importants par un nombre moins élevé de mètre cubes. J’estime donc particulièrement urgent une réflexion commune à l’ensemble des acteurs sur l’évolution globale du prix de l’eau pour le consommateur dans les années qui viennent pouvant amener, le cas échéant, à une réforme profonde du mécanisme global de financement de l’eau dans l’agglomération parisienne, dont la tarification sociale.
Ces deux questions, approche globale de la ressource en eau dans l’agglomération et réforme du financement, m’apparaissent constituer des préoccupations qui vont au-delà de notre débat de ce matin et dont j’estime qu’elles relativisent quelque peu la portée réelle de celui-ci.
Venons-en cependant à la question posée.
Il est désormais très majoritairement admis que les conditions économiques de la délégation qui s’achève étaient devenues déséquilibrées en faveur du régisseur, et ce malgré les évolutions qu’a connues le contrat de délégation. Ceci est compréhensible, du reste : l’évolution du contexte économique a été telle depuis le point de départ de la délégation qu’il n’y a aucune raison pour que des équilibres économiques définis il y a plus de trente ans, et considérés alors comme équilibrés, le soient encore aujourd’hui. Il est tout aussi clair que les conditions de maîtrise d’ouvrage déléguée qui ont prévalu jusqu’il y a quelques années ne peuvent plus se poursuivre. C’est une bonne raison pour ne pas chercher à prolonger, même sur une durée plus réduite, un modèle en tout point identique à celui actuellement en vigueur.
De ce point de vue, si la majorité de notre comité devait se prononcer en faveur d’une poursuite de la gestion déléguée, la réduction de durée du contrat de délégation à une dizaine d’années me semblerait nécessaire. Par ailleurs, et afin de redonner à la puissance publique à la fois un meilleur contrôle, et aussi maintenir une réelle compétence au sein de ses services, le périmètre de délégation devrait être revu afin d’assurer au SEDIF une plus grande part des investissements en maîtrise d’ouvrage directe. Il ne s’agit d’ailleurs là que de prolonger une tendance amorcée il y a plusieurs années et qui a permis au SEDIF de reconstituer en interne une réelle capacité d’expertise technique. La réduction de la durée et la réduction du périmètre fonctionnel de la délégation vont d’ailleurs logiquement de pair, et c’est du reste la proposition qui est faite par la majorité du bureau.
En dernier lieu enfin, il me semble que les propositions formulées par plusieurs acteurs et observateurs de l’eau potable et qui consistent à prôner un allotissement géographique (par exemple en trois lots correspondant à chacune des usines) doivent être étudiées avec soin. Elles présentent en effet de nombreux avantages : répondre de manière forte à la critique sur le « monopole » et l’absence de concurrence, instituer une émulation interne – technique et de gestion – entre prestataires si ce sont des prestataires différents qui emportent chacun des lots, renforcer l’autorité politique délégante, inciter à l’innovation et à la recherche, contribuer à préserver l’excellence technique française dans le domaine de l’eau.
Mes chers collègues, pour ma part, je souhaite que nous ne fassions pas de cette affaire une question idéologique. J’ai personnellement, comme chacun d’entre nous, beaucoup réfléchi et échangé pour construire mon choix, face à une question posée dont le caractère tranché me gêne quelque peu. Pour autant, à la réflexion, une délégation de service public au périmètre restreint quant aux fonctions, à la durée limitée, soumise à un système de suivi et de contrôle efficace, ne me semble finalement pas très éloignée dans son fon ctionnement à une régie directe assortie de marchés publics. A une différence de taille près : le partage des risques entre l’autorité concédante et le prestataire qui, dans le cas particulier, me paraît être un gage d’équilibre et d’efficacité.
Encore faut-il que la concurrence joue pleinement et sincèrement. A cet égard, le cahier des charges de la délégation, si nous en décidons ainsi, devra être préparé de la façon la plus ouverte possible, par exemple en laissant ouverte la possibilité de l’allotissement géographique. Je souhaite, Monsieur le Président, que vous nous donniez à nouveau cette assurance, tout comme je vous demande de poursuivre vos efforts en toute concertation pour que soient abordées au fond les importantes préoccupations que j’évoquais au début de mon propos et qui me semblent engager l’avenir au moins autant que la décision que nous allons prendre ce matin.
Dans ces conditions, mes chers collègues, je voterai la délibération proposée, qui est tout sauf une reconduction de l’existant.
Je vous remercie. »