L’Europe, un espace culturel bien particulier
Mon éditorial de la Lettre Echanges (lettre de la FNCC) de fin avril 2014
Les élections européennes sont imminentes. Il s’agit d’une échéance politique décisive pour les politiques culturelles. Certes, le budget communautaire pour la culture et la préoccupation culturelle de l’Union européenne sont, l’un comme l’autre, remarquablement faibles. Mais c’est cette faiblesse même qui s’avère politiquement et philosophiquement décisive.
Du point de vue politique, même sans volonté particulière, l’Europe détient de fait les clés de la régulation des activités culturelles. Que ce soit sur le droit d’auteur et son adaptation à l’ère numérique, la circulation des artistes, la possibilité des aides publiques pour la culture, le traitement séparé du secteur culturel dans les traités commerciaux, la mise en place d’une fiscalité sur les opérateurs numériques exploitant des données culturelles, les taux de TVA applicables au livre ou aux billetteries de spectacles et de cinéma…, la liste des enjeux culturels aux mains de l’Union européenne est considérable. Non seulement ces multiples enjeux sont vitaux pour la culture mais, de surcroît, ils constituent des points possibles de convergences entre les Etats membres de l’Europe. Ici, la culture peut être le noyau d’une Europe plus positive.
Du point de vue philosophique, même sans pensée particulière, l’Europe a besoin de l’appui de ses cultures à la fois mêlées et partagées. C’est encore au niveau européen que peuvent être concrètement et juridiquement mises en oeuvre la Convention de l’Unesco sur la diversité culturelle, la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels ou encore la Convention de Faro sur la valeur du patrimoine culturel. L’Europe peut – doit – être le champ d’expérimentation d’un monde fondé sur la reconnaissance de l’égale dignité de toutes les cultures. Au niveau européen, l’intérêt communautaire comprend tout ce qui relève du respect de la diversité. La faiblesse du projet culturel européen a ainsi pour atout de mettre à jour combien la culture est non pas un stock de “biens et de services”, mais l’ensemble des processus sensibles au sein desquels chacun inscrit et agit sa vie.
Pour ainsi dire, il saute aux yeux que l’Union européenne a manqué l’essentiel, c’est-à-dire ce qu’elle est : un espace culturel bien particulier qui est la grammaire même de nos existences au travers de sa création artistique, de son patrimoine, de ses langues et de ses libertés. Certes, on peut regretter par avance le peu d’intérêt que semblent devoir susciter les élections européennes de cette année. On peut aussi s’y adosser pour imaginer une Europe plus réelle, plus “maternelle” (comme on le dit d’une langue), une Europe dont un jour les enjeux électoraux seront appréciés à leur juste valeur : leur valeur de civilisation.