Université : revenons enfin à l’essentiel

S’il est un sujet dont personne ne semble se soucier durant cette campagne présidentielle c’est bien l’enseignement supérieur et la recherche (ESR). Pourtant, à l’heure où certains candidats théorisent un monde dans lequel la valeur travail perdrait de sa vigueur, les enjeux liés à cette thématique, marquée par des réformes structurantes au cours de la dernière décennie, semblent plus que jamais d’actualité.

D’ailleurs, année après année, les effectifs universitaires augmentent : environ 30 000 étudiants nouveaux à chaque rentrée soit ceux d’une université de taille moyenne. Nos jeunes, qui n’ont connu que mauvaise conjoncture économique et chômage de masse, ont nettement intégré l’importance d’obtenir un diplôme du supérieur pour réussir leur vie professionnelle, en France ou ailleurs. 

Cette hausse du nombre d’étudiants n’est pas sans conséquences. Certaines filières sous tension, comme les Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS), les sciences dures ou la Première année commune aux études de santé (PACES), ont intégré un système de tirage au sort pour sélectionner des candidats trop nombreux. D’autres, principalement en droit et en sciences humaines, misent sur les défections en cours d’année afin de pouvoir proposer des places assises en amphi à tous les étudiants. Nous ne pouvons pas nous résoudre pérenniser l’une ou l’autre de ces solutions. 

L’autre effet de cet accroissement touche ceux qui arrivent jusqu’en master. Le trop grand nombre d’étudiants à ce niveau ou le manque de débouchés (selon le point de vue dans lequel on se place) conduit à une sélection insidieuse de fait entre M1 et M2. Dans une société où le recrutement des cadres s’opère à bac +5, cette élimination, nette, par l’arrière précarise des étudiants souvent sans plan B et durablement marqués au fer rouge. Considérés comme redoublants ils passent en fin de liste l’année suivante. 

Le savoir contribue à la prospérité collective dans un contexte de liberté et de développement de la pensée critique. Dégagés de tout effet économique, les universités constituent l’écrin le plus noble de la transmission de la connaissance. Or la qualité de l’enseignement découle en partie des moyens mis à disposition. Et si les chiffres rappelés plus hauts renvoient à la construction d’une nouvelle université par an, nous sommes en réalité dans un mouvement inverse. 

L’entrée de plein pied des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPCSCP) dans une logique de territorialisation a conduit à des regroupements en communautés d’universités et d’établissements (COMUE) voire à des fusions d’établissements. Si l’objectif d’atteindre une masse critique, de mutualiser les moyens, de gagner en visibilité internationale et de peser sur les territoires peut sembler légitime, il n’en est pas moins à la source de dommages collatéraux et de véritables gâchis. La fermeture de filières pas assez prisées ou le déménagement d’UFR implantés dans les villes vers d’immenses campus centraux sans âme comptent parmi ces effets pervers. 

Pour répondre à la concurrence mondiale, la plupart des établissements ont en effet opté pour un dispositif d’excellence scientifique et ont déployé le même plan de jeu : accès à des financements extérieurs (fonds européens, plan investissement avenir (IDEX, I-ISITE), investissements privés), recrutement des meilleurs enseignants et étudiants étrangers, mise en place de campus éloignés des centres villes (alors que l’université française est historiquement, au contraire, l’une des composantes de la ville), partenariats systématiques avec des entreprises, marketing… Cette vision « à l’américaine » de l’université n’est pas la nôtre. Elle peut se comprendre à l’échelle de quelques sites prestigieux mais clairement pas à celle du pays. 

Parmi les principaux responsables, les élus figurent en bonne place. La course à la politique de sites a été très largement encouragée par les exécutifs locaux et par les parlementaires. Cette défense absurde de la « petite boutique » se retrouve également dans le fait d’avoir élargi le nombre de métropoles, jusqu’à galvauder le concept. Chacun veut disposer de toutes les fonctions humaines sur son territoire (ce qui est la définition la plus communément admise de la métropole). Tout le monde exige donc son pôle universitaire capable de s’imposer dans la compétition internationale. 

Aujourd’hui, ce gigantisme passe à côté de l’essentiel : la structuration intellectuelle, la capacité d’innovation et l’insertion professionnelle de nos jeunes. Dans un pays en proie à des tensions identitaires et culturelles ainsi qu’à de sérieuses difficultés sur le marché de l’emploi, ces trois volets devraient constituer la priorité des priorités. Au lieu de cela, nous réservons nos meilleures filières à la fine fleur internationale[1] et nous nous concentrons sur des classements subjectifs qui ne disent pas tout – bien loin de là – de l’état d’une nation. 

« C’est au sein des universités que sont nées nos plus belles idées et qu’ont été inspirées nos plus grandes œuvres : liberté, dignité humaine et fraternité »[2] écrivait Romain Gary. En préparant l’avenir intellectuel – mais également professionnel – et en constituant un des éléments clé de notre soft power, les établissements d’enseignement supérieur jouent un rôle fondamental. Dans une société en constante transformation, ne nous laissons pas envahir par des tentations inutiles, préservons ce qui nous distingue en prenant acte des attentes sociétales, et surtout ne détournons pas les universités de leurs missions fondamentales.

 

[1] La France compte 7% d’étudiants étrangers et est la 3e destination d’études http://ressources.campusfrance.org/publi_institu/etude_prospect/chiffres_cles/fr/chiffres_cles_n10_essentiel.pdf

[2] GARY Romain, Education européenne, Galimard, Paris, 1972

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