Temps de travail des fonctionnaires : un état des lieux objectif

J’ai remis jeudi 26 mai 2016 à la ministre de la Fonction publique mon rapport sur le temps de travail des fonctionnaires. Cette mission m’avait été confiée par le Premier ministre en juillet 2015.

Cette question du temps de travail dans la fonction publique est un des sujets les plus débattus, et parfois « rebattus », dans le monde politique français, sans pour autant que, jusqu’à présent, de grandes décisions de réforme aient été prises, et que ces intentions de réforme aient été suivies de réalisation concrète. Et surtout sans qu’un véritable état des lieux n’ait été dressé.

Or, ce sujet est au carrefour de nombreux « marronniers » politiques et journalistiques contemporains : l’opposition entre les secteur public et le secteur privé, celui-ci censé avoir toutes les vertus qui manquent à celui-là, la critique du principe même de la fonction publique et du service public, la critique des élus nationaux ou locaux.

La focalisation sur le temps de travail des fonctionnaires est facile, il y a toujours des exemples possibles dans un ensemble de plus de cinq millions d’agents. Or, on oublie facilement ceux qui travaillent la nuit, les week-ends et jours fériés et dont la présence et les interventions sont devenues évidentes : infirmières, sapeurs-pompiers, policiers, agents techniques… Il faut qu’adviennent catastrophes ou attentats pour qu’alors on prenne conscience de leur action, et pour tout dire de leur nécessité.

Il était donc souhaitable, et même nécessaire, de dresser un bilan global, rétrospectif et – autant que possible – objectif de la mise en œuvre de la réforme du temps de travail dans les trois versants de la fonction publique. Il est même étonnant que cela n’ait pas été tenté plus tôt par ceux qui en critiquent le principe.

C’est donc un honneur – dont je mesure la responsabilité – d’avoir eu à conduire cette mission à la demande du Premier ministre, et je remercie tout particulièrement les membres des inspections générales qui ont très activement et avec le maximum de compétences contribué à la réalisation de ce travail.

De nombreux sondages partiels avaient été réalisés, notamment par la Cour des comptes, mais il était important de reprendre l’ensemble du dossier dans toutes ses composantes : cadres et données juridiques, mise en œuvre concrète dans chaque fonction publique en tenant compte de la spécificité des contextes et des métiers, difficultés soulevées et évolutions récentes dues aux nouvelles technologies…

Les aspects très pratiques – les badgeuses, par exemple – ont été traités avec attention, car évoquer le temps de travail sans envisager les difficultés concrètes d’application reste pure spéculation. C’est la raison pour laquelle de très nombreux entretiens et rencontres (environ 300) ont été réalisés avec des responsables de tous niveaux de diverses administrations centrales, déconcentrées, territoriales.

De la même manière, un questionnaire très largement diffusé a permis de recueillir des données objectives variées. Il n’était toutefois pas matériellement possible d’avoir un panorama pleinement exhaustif du temps de travail dans les fonctions publiques. Une enquête portant sur la totalité des entités administratives aurait été trop lourde à mener, voire quasi-impossible ; de plus la lettre de mission du Premier ministre excluait un certain nombre de personnels d’administrations : personnels enseignants de l’Education nationale, magistrats, militaires. Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont accepté de nous recevoir et/ou nous ont adressé des contributions. La parole a été très libre, j’en suis convaincu, lors des auditions. L’intérêt en tout cas de la mission a été reconnu par tous.

Pour autant, les perspectives que propose ce rapport permettent de rétablir quelques vérités, de corriger quelques critiques et d’avoir, je le crois, une vue plus solide et objective de la question.

Tout d’abord, l’extrême diversité des situations et conditions d’emplois expliquent les nombreuses particularités que l’on a pu rencontrer. Un hôpital n’est pas une commune qui n’est pas une administration centrale. C’est la raison pour laquelle les astreintes, les sujétions particulières, les rythmes ont été analysés avec soin. C’est aussi pour cela que des éléments précis de comparaison avec le secteur privé ont été fournis, qui relativisent fortement les différences souvent évoquées. Du reste, des responsables des ressources humaines du secteur industriel et des services ont été auditionnés, ce qui a permis de mesurer la convergence de certaines préoccupations, bien loin de certaines caricatures.

Je souhaite également insister sur un élément central de ce rapport : il n’est évidemment pas question de nier les difficultés et parfois même les inégalités, dérives ou distorsions rencontrées. Elles existent, perdurent parfois au sein d’une même administration et cela a été souligné. Les recommandations formulées dans ce rapport visent d’ailleurs avant tout à réduire des différences, à harmoniser les dispositifs, à introduire davantage d’équité et de transparence, à responsabiliser tous les acteurs, et notamment les employeurs.

Mais il convient aussi, et surtout, d’insister sur la méthode. Des habitudes ont été prises, des exceptions sont devenues la règle. La réduction du temps de travail dans la fonction publique a sans doute été trop rapidement mise en œuvre, et a été plaquée sur des organisations préexistantes, non réexaminées. Ses conséquences pourtant inéluctables en terme de créations nécessaires de postes n’ont pas toujours été bien prises en compte.

Aujourd’hui, s’il faut respecter et parfois revenir à la règle de droit – ce qui s’impose aux employeurs et aux agents – il convient aussi de le faire dans un cadre positif, négocié. Pendant la mission, une place importante a été donnée à l’audition des organisations syndicales, et toute évolution devra se faire dans le cadre d’un dialogue social constructif et approfondi. C’est le sens d’un certain nombre de propositions de ce rapport.

Les discussions ou négociations sur le temps de travail peuvent être l’occasion, dans les administrations, d’une réflexion plus globale et dynamique sur l’adaptation du service public aux attentes des usagers, sur l’organisation, sur les compétences et la formation de l’encadrement, et sur les conditions de travail. Le temps de travail est un élément central de la « qualité de vie au travail », il n’en est pas la variable d’ajustement.

Enfin, les recommandations proposées sont de nature et de portée différentes – législatives, réglementaires ou plus simplement fonctionnelles. Il appartient donc à chacun de mesurer l’importance de ces sujets au regard des exigences du service public et des attentes légitimes des usagers.

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