« Réunir les employeurs pour peser face au gouvernement »

Entretien paru dans La Gazette le 25 mai 2018, et réalisé par Bénédicte Rallu et Jean-Marc Joannès

Le président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), qui mène une mission conjointe avec le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt, souhaite rapprocher les associations d’élus pour qu’elles puissent discuter d’une seule voix avec l’Etat sur les questions relatives à la territoriale.

Quels sujets abordez-vous dans le cadre de votre mission avec Olivier Dussopt sur la FPT ?

La FPT sera le principal sujet de la prochaine réunion de l’instance de dialogue de la CNT du 22 juin. Dans notre mission, nous abordons les quatre chantiers ouverts par le gouvernement : instances de dialogue social, contractuels, rémunération au mérite, parcours professionnels et mobilité. Je pousse aussi à ce que soit abordée la question du temps de travail.

Pourquoi le temps de travail ?

C’est essentiel. Il faut réexaminer le protocole de 2001. On pourrait harmoniser les autorisations spéciales d’absence, ce que tout le monde réclame.

Faut-il réformer les instances de dialogue social ?

Donner en pâture le chiffre de 22 000 instances, c’est présenter les choses d’une façon particulière, d’autant que ce chiffre est sans doute approximatif. A mon sens, ceci ne représente pas une priorité absolue s’agissant des collectivités : le système actuel me paraît satisfaisant. Lorsqu’ont été mis en place les CHSCT, il s’agissait de considérer les préoccupations de qualité de vie au travail. Tous les acteurs, y compris les employeurs, souhaitaient une instance spécifique pour traiter effectivement des conditions de travail.

Vous préconisez donc le statu quo ?

On peut fusionner le comité technique et le CHSCT, même si cela nécessite une organisation nouvelle. Nous souhaitons surtout que les questions jusqu’ici traitées en CHSCT soient effectivement toujours examinées si elles sont introduites dans les comités techniques et que les questions de conditions de travail et de santé au travail continuent à être débattues de manière sérieuse au sein d’une instance paritaire. Autrement dit, on ne gagnera pas de temps : au lieu d’avoir deux réunions qui se suivent, on en aurait plus qu’une seule… plus longue. Les employeurs territoriaux veulent absolument éviter de donner un signal selon lequel la suppression des CHSCT signifierait une moindre importance accordée aux conditions de travail et à la santé.

Que pensez-vous d’un éventuel élargissement du recours aux contractuels ?

Elargir le nombre de contractuels, comme objectif vis-à-vis du grand public, cela fait très « réformateur ». Mais dans les collectivités, on est déjà à plus de 20 % de contractuels, sans que cela ne crée de problèmes insupportables. Certaines préfectures font parfois des remarques, mais les organisations syndicales ne font pas d’observations critiques et considèrent même qu’elles défendent aussi bien les titulaires que les contractuels. De façon générale, ce n’est pas un sujet pour les agents. En revanche, il faut réaffirmer le concours comme voie d’accès normale.

Les « contrats de mission » seraient-ils un bon outil ?

Les employeurs territoriaux y sont assez favorables. Leur instauration ne poserait pas de souci particulier au regard du statut. Ils faciliteraient, même pour les collectivités de taille modeste, l’embauche pour une durée déterminée de cadres de haut niveau, dans certains domaines. Cela permettrait de gérer un dossier, un projet spécifique, par exemple d’aménagement, pendant plusieurs années. Une collectivité soumise aux conditions de seuil démographique (40 000 hab.) pourrait ainsi recruter un ingénieur en chef. Cela reviendrait moins cher que de recourir à un cabinet d’assistance à maîtrise d’ouvrage. Il s’agit d’une sorte d’intérim de haut niveau, que les employeurs territoriaux réclament depuis longtemps. Il pourrait s’agir tout autant de « contractuels » que de fonctionnaires d’une autre collectivité.

Quelles pourraient être les orientations sur la rémunération au mérite ?

Mieux aurait valu dresser un bilan du Rifseep – qui n’est pas encore totalement déployé – et de la révision générale des politiques publiques avant de travailler à une nouvelle réforme de la rémunération au mérite. Celle-ci est déjà possible avec le Rifseep, si l’on introduit un minimum obligatoire de complément indemnitaire annuel. La difficulté est que la rémunération au mérite individuel n’est pas toujours adaptée. La notion de mérite irrite les syndicats, qui y voient du subjectif. Réfléchir à une rémunération au service serait une bonne piste pour faire prévaloir le collectif.

Quid de la mobilité des agents ?

Au sein de la FPT, on constate un bon niveau de mobilité chez les cadres. C’est l’un des avantages de la territoriale, qui permet d’évoluer au sein de collectivités de tailles et de natures différentes. Mais plus le niveau de responsabilité diminue, moins la mobilité est effective et demandée. Il faut donc faciliter la mobilité à l’intérieur même de la collectivité, parmi les différents métiers, missions et services. Le management permet de le faire (plus facilement qu’à l’Etat d’ailleurs) par le biais, notamment, de l’entretien d’évaluation et de la prise en compte des souhaits d’évolution des agents.

Et s’agissant de la mobilité interfonctions publiques ?

En tant que maire, j’ai connu des expériences intéressantes, par exemple avec des agents venant de La Poste. Mais s’il s’agit d’importer dans la territoriale des « managers » qui n’ont pas la culture de la collectivité, cela risque d’être compliqué.

Ou entre le public et le privé ?

On pourrait la faciliter davantage. Un projet de loi vise à maintenir la progression de carrière des agents en disponibilité. L’idée est d’inciter à cette mobilité, qui peut être utile aux collectivités. Mais pour la FPT, l’enjeu de ces questions se joue surtout en interne pour faire en sorte que des agents des catégories C et B puissent trouver leur intérêt dans la territoriale et dans leur collectivité. Cela touche aux questions de formation, de validation des acquis de l’expérience et de deuxième partie de carrière. Il y a un besoin d’assouplissement et de management.

Allez-vous aborder la question de la protection sociale complémentaire dans votre mission ?

Nous attendons le rapport de l’inspection générale des affaires sociales sur ce sujet. La question est de savoir s’il faut ou non fixer un minimum obligatoire, pour faire franchir le pas aux collectivités qui n’ont encore rien fait en la matière. Ceci doit constituer l’un des objets du dialogue social à venir, en tant qu’élément de négociation avec les organisations syndicales.

Vous prônez la création d’une fédération des employeurs territoriaux. De quoi s’agit-il ?

L’idée est de rassembler l’AMF, l’ADF et Régions de France, les trois associations historiques de collectivités représentées au CSFPT, s’agissant de leur mission « employeur », avec une sorte de délégation de compétence. Il ne s’agit pas d’écarter les autres associations d’élus, mais de répondre à un besoin de simplicité pour peser face au gouvernement. Le porte-parole unique de cette fédération, qui sera peut-être davantage une coordination, pourrait être le président du Conseil supérieur de la FPT. Et pourrait traiter des questions de fonction publique territoriale (statut, santé au travail, protection complémentaire…).

A qui s’adresserait cette fédération ou cette coordination ?

Elle parlerait à l’Etat normatif (celui qui écrit les textes). La difficulté est que l’Etat normatif et l’Etat employeur sont confondus et privilégient les intérêts de ce dernier, au détriment des caractéristiques propres de l’hospitalière et, surtout, de la territoriale. Les discussions ne se font jamais avec tous les employeurs réunis. L’idée est que l’Etat employeur, les employeurs territoriaux et la fédération hospitalière forment un collège des employeurs publics, pour discuter régulièrement en amont – grâce à une conférence – à propos de tout projet de texte soumis au dialogue social et avec les organisations syndicales. Aujourd’hui, cela manque.

L’Etat acceptera-t-il de « se dédoubler » ainsi ?

Il y aurait intérêt. Même si le gouvernement voit aussi son avantage, notamment pour la territoriale, à solliciter de multiples interlocuteurs. Tantôt il sollicite le CSFPT, tantôt les associations d’élus. Notre engagement sera de faire porter la voix des associations d’élus auprès du gouvernement et devant les organisations syndicales. Il existe souvent des accords de fait, mais il manque un porte-parole. Le gouvernement y gagnerait. Pour développer des approches différenciées des trois fonctions publiques comme le propose le président Macron, il faut bien un interlocuteur spécifique. Le gouvernement ne pourra pas se contenter de la discussion générale telle qu’elle se pratique au sein du Conseil commun. Encore une fois, il ne faut pas que les blocages au niveau de l’Etat touchent le niveau territorial.

Qui porte le projet de « fédération des employeurs » ?

Ce n’est pas dans le cadre de la mission que j’accomplis avec Olivier Dussopt. Cela étant, nous aimerions faire une déclaration au moment de la prochaine CNT au nom des trois associations. Le projet serait porté par les présidents de l’AMF, de l’ADF et de Régions de France. Nous allons rédiger une charte et nous y associerons aussi le président de la Fédération nationale des centres de gestion et celui du CNFPT. Je vais aussi proposer une répartition différente du collège « employeurs » du CSFPT (aujourd’hui, seuls les communes, les départements et les régions sont représentés, ndlr) pour que les autres associations d’élus y soient mieux représentées.

Comment la fédération s’articule-t-elle avec le collège « employeurs » du CSFPT ?

Le collège « employeurs » a une légitimité législative, mais n’a pas de légitimité politique issue des associations d’élus. L’Etat en joue. Il s’agit de pousser le gouvernement à n’avoir qu’un interlocuteur reconnu pour qu’il ne puisse plus s’appuyer sur telle ou telle déclaration individuelle. L’enjeu est important. Il existe une fonction publique territoriale. Il ne faut pas aboutir à des distinctions entre une fonction publique communale, une fonction publique départementale et une régionale. Ce serait catastrophique. Une solidarité entre collectivités employeurs doit être maintenue.

Quels sont, selon vous, les enjeux des prochaines élections professionnelles ?

Il y a une inquiétude, partagée par tous, sur le niveau de participation. Quels que soient les résultats, le dialogue social sera maintenu. Les enjeux sont plutôt à examiner entre les organisations syndicales.

 

 

 

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