Retour du congrès des maires : l’AMF renforcée … et l’Etat gagnant !

Le 93ème congrès de l’Association des maires de France (AMF) s’est achevé jeudi 24 novembre dernier par le vote unanime de la résolution unique. C’est une victoire pour toute l’AMF, qui sort ainsi renforcée de quatre jours d’échanges et de débats parfois vigoureux.

Les maires de France ont ainsi montré que, en dépit « d’appréciations divergentes » sur, en particulier, la réforme des collectivités territoriales qui vient d’être définitivement votée par le Parlement (avec une majorité très étroite au Sénat), ils étaient unis sur l’essentiel : l’importance de l’action publique locale comme réponse aux besoins quotidiens de services publics des habitants, l’identité communale, la sauvegarde des libertés locales, la préservation, comme outil de ces libertés locales, de l’autonomie fiscale et financière.

J’en suis, pour ma part, heureux, souhaite rendre hommage à tous ceux qui ont permis cette victoire de l’AMF, au premier rang desquels le président Jacques Pélissard et le secrétaire général André Laignel.

C’est cependant l’occasion de faire part du sentiment plutôt mitigé – pour rester modéré … – que m’inspire cette réforme territoriale, annoncée à grands renforts de publicité et se terminant sur un texte qui ne résout pas grand chose des prétendus problèmes soulevés. Je ne le regrette pas car j’avais estimé, dès le début – et y compris sur ce blog – que l’analyse du rapport Balladur – à l’inspiration duquel le projet de loi initial a été bâti – était fondée sur le présupposé que les pouvoirs publics locaux en France ne fonctionnaient pas bien. Ce qui, pour quiconque connaît de l’intérieur les choses, est absolument faux. On sait qu’un diagnostic erroné et non partagé conduit rarement à une réforme pertinente. En voici une nouvelle illustration !

Même la partie réputée la plus consensuelle, traitant d’intercommunalité, est loin d’être enthousiasmante. Nous restons dans le tiédasse … De deux choses l’une : soit on estime que le fait communal est dépassé, et on procède d’autorité au regroupement de celles-ci sans laisser subsister de doutes, soit on reste attaché à l’identité communale, et on ne cherche pas à la contourner. C’est ce que suggère pourtant le texte qui, pour « parfaire la carte intercommunale », donne au préfet des pouvoirs exorbitants au lieu de procéder, comme le faisait la loi Chevènement de 1999, par incitation, y compris budgétaire. D’autant qu’on peut s’interroger sur les prétendus avantages que procurera, en terme de développement territorial et de qualité des services publics locaux, cet « achèvement » de la carte. En revanche, on sait avec certitude que les évolutions contenues dans le texte, notamment en matière de désignation des délégués intercommunaux, conduiront à des affrontements partisans accrus au sein des conseils communautaires, affrontements dont les structures intercommunales étaient jusqu’alors généralement préservées. En d’autres termes, alors que jusqu’alors les communautés étaient des outils mutualisés pour les exécutifs communaux, elles deviennent peu à peu des collectivités à part entière, créant – à rebours de la volonté pourtant affichée – un quatrième niveau d’administration. Personne, en tout cas pas les territoires et leurs habitants, ne gagnera à cette évolution qui ne dit pas son nom. Là comme ailleurs, le « politiquement correct » de la haute administration d’Etat a encore gagné avec la complicité des « grands élus » adeptes du cumul des mandats, au détriment du « pays réel ».

S’agissant de la création du conseiller territorial, j’estime que celle-ci doit être replacée dans le contexte plus général de l’évolution de la décentralisation « à la française ». Depuis l’échec de la réforme voulue au départ, avec sincérité, par Jean-Pierre Raffarin, et qui aura été torpillée par son propre gouvernement et sa majorité parlementaire avec l’assentiment de l’Elysée de l’époque et de l’ex-RPR, chacun aura compris que ni les partis politiques, ni les « forces vives » de la nation, ni les Français eux-mêmes et a fortiori ni les élus (locaux et nationaux) dans leur immense majorité, ne voulaient véritablement d’une évolution « régionaliste », qui organise une véritable dévolution des pouvoirs (réglementaires, voire législatifs) en direction de régions éventuellement redimensionnées. Bref, le refus d’une évolution à caractère fédéraliste reste très prégnant, et l’Etat unitaire reste d’autant mieux installé que les Français ont le sentiment – à mon sens largement erroné – que c’est précisément le caractère unitaire de l’Etat qui leur a permis – jusqu’à maintenant – de traverser sans trop de casse – pour le moment – la crise que nous vivons. A titre personnel, je le regrette, mais je suis aussi réaliste quant à la mentalité du peuple français, qui ne se remet pas d’avoir voté la mort du roi !

Dès lors, dans ces circonstances, pourquoi laisser subsister l’illusion de « parlements régionaux » qui exercerait un pouvoir autre que celui de gérer des dossiers dont pratiquement toutes les données et contraintes sont fixées par la loi et les règlements nationaux ? En réalité, le mode d’élection (au scrutin uninominal, sur un territoire délimité) va amener dès 2014 une approche départementaliste de la gestion régionale. Les régions seront de gros départements, les conseils régionaux de gros conseils généraux où chaque élu aura gagné sur son territoire, où les débats seront techniques et sans affrontement véritablement partisan (sauf dans les cas rares où quelques caméras seront présentes), où le président sera choisi pour son sens du compromis et de l’équilibre : bref, une assemblée pour gérer le territoire dans le cadre fixé par la loi, et non pour changer la loi. Et les départements actuels deviendront des sous-ensembles fonctionnant de la même façon sur un territoire plus restreint. Ce n’est pas la disparition des départements qui est ici à l’oeuvre, mais plutôt celle d’une conception régionaliste de l’organisation des pouvoirs publics.

Quant aux autres dispositions de la soi-disant réforme, elles restent bien en retrait du texte d’origine, pour ne pas dire qu’elles ont disparu. Cette lamentable affaire dite des « financements croisés » en est le plus bel exemple : l’article qui subsiste n’est là que pour ne pas faire perdre la face des concepteurs et défenseurs de la réforme, mais il n’a plus aucune conséquence pratique, du moins d’ici 2015. Il faut dire l’absurdité d’inscrire dans la loi ce genre d’interdiction, faite à des assemblées élues au suffrage universel, et qui n’amènent strictement rien en terme de clarification, sauf des contraintes qu’il faut ensuite contourner au prix de stratagèmes qui complexifient encore l’action locale.

En réalité, comme je l’ai déjà écrit et comme je l’ai rappelé lors de mon intervention à la tribune du congrès le 24 novembre dernier (texte disponible sur demande à philippe.laurent@sceaux.fr), la seule réforme d’importance majeure, c’est la quasi disparition de l’autonomie fiscale des régions et des départements issue de la suppression de la taxe professionnelle. C’est d’abord par la contrainte financière que le pouvoir central réduira les libertés locales, non par les réformes institutionnelles ou administratives. La motion finale du congrès y fait d’ailleurs allusion. Le combat, sur ce terrain, sera rude dans les années qui viennent. Pour le moment, c’est Etat 1, pouvoirs locaux 0.

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