Projet de loi ELAN : un texte dangereux qui se trompe d’objectifs !

Le projet de loi ELAN, présenté en conseil des ministres le 4 avril dernier, contient un grand nombre de dispositions concernant la production de logements et leur gestion. Vu de loin, beaucoup de bon sens. Vu de près, une remise en cause fondamentale du modèle français, une libéralisation technocratique, un nouveau méchant coup de griffe à l’encontre des élus locaux, et surtout la préparation d’un paysage urbain banalisé pouvant conduire aux pires errements de l’après-guerre.

Passons sur cette illusion complaisamment véhiculée à la fois par une administration centrale ne jurant que par la « planification » et par une union sociale de l’habitat dominée par quelques grands directeurs de structures publiques avides de centralisation et de pouvoir, et selon laquelle le « gros » serait nécessairement plus vertueux et efficace que le « petit », notamment en matière de logement. De multiples exemples montrent le contraire, mais « on » ne veut pas les voir. Passons aussi sur la méfiance constante à l’égard des élus locaux qui suinte de tout le texte, qui vise à « corseter » l’action des maires et à décrédibiliser leur sens des responsabilités et leurs capacités à prendre des décisions adaptées à leurs concitoyens. Passons sur la tentative de créer de « gros » opérateurs de l’Etat, à même d’intervenir sur tout le territoire, associant certes les collectivités locales à leur capital … mais de manière minoritaire ! Les collectivités paieront, l’Etat décidera. Passons enfin sur le débat que ne manquera pas de provoquer à nouveau l’esprit même du texte, autour du rôle des architectes des bâtiments de France qui seront probablement une nouvelle fois accusés de « bloquer la marche en avant » du pays, au nom d’un patrimoine dont la défense et la mise en valeur ne se résumeront plus bientôt qu’à quelques émissions de télévision à l’eau-de-rose.

Mais le point sur lequel il nous faut orienter notre regard, c’est l’évolution de la commande architecturale, voire l’évolution de l’architecture tout court.

Dans un contexte économique tendu et dans une situation où la production de logements est, dit-on, insuffisante pour abriter tout le monde et ceci particulièrement en Île-de-France, se dessine une volonté inébranlable : « construire plus, plus vite, mieux, plus et moins cher ».

C’est à partir de cette « volonté » que les pouvoirs publics souhaitent désormais – avec le soutien actif de certains groupes de pression efficaces – que la production de logements sociaux ne serait plus assujettie à la loi sur la maîtrise d’ouvrage publique, dite loi « MOP », qui prévoit en particulier l’organisation de concours d’architecture et de maîtrise d’œuvre, et de renforcer l’industrialisation de la production du bâtiment. On comprend l’intention générale, qui est d’alléger des procédures considérées comme trop lourdes et de réduire les délais de fabrication. Pour ma part, avec quelques décennies d’expérience, je ne pense pas que, concrètement, l’objectif poursuivi sera atteint, car la réduction opérée sur le temps, entendue de cette façon, ne touchera pas les « bons moments ».

Pour attester cette affirmation, souvenons-nous de l’expérience des « grands ensembles » — et notamment celle, tristement fameuse, des opérations « million », à peu près toutes détruites depuis —, qui ont été conçus selon cet esprit et que nous sommes encore en train de payer à coup d’opérations ANRU, avec des factures se comptant en dizaine de milliards d’euros et surtout des difficultés sociales et un gâchis humain incalculables, que personne ne veut plus voir et que dénoncent la plupart des maires de banlieue, parois spectaculairement.

En abolissant la loi MOP, la qualité ne sera plus au rendez-vous, car l’organisation, la forme  et la durée d’un concours sont le moment quasi unique du débat de fond sur le projet, du « colloque » à l’origine du fait urbain. Ce débat est vital, tant pour partager un projet, gage de sa réussite, que pour l’accepter, gage de son intégration. En bannissant de fait la réflexion architecturale et donc urbaine, en empêchant justement ce « moment » privilégié, hautement et purement politique où l’élu doit se confronter à sa vision de la ville, on reconduira les erreurs du passé, on privilégiera le nombre au détriment de la qualité.

C’est donc bien l’avenir de l’architecture qui est ici en jeu, c’est-à-dire quelque chose qui ne peut se réduire à de simples bâtiments, à des constructions, mais quelque chose qui soit « habitable ». Il ne s’agit pas de construire des logements. Il s’agit de « faire de la ville », et ce n’est pas du tout la même chose.

C’est en ce sens que le projet de loi ELAN se trompe totalement d’objectifs, et c’est en ce sens aussi que le combat que mène notamment l’Ordre national des architectes est, aussi, un combat politique. Le Parlement saura-t-il éviter la catastrophe annoncée ?

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