Projet de loi de Finances pour 2010 : une rupture profonde dans le financement de l’action publique locale et la décentralisation
Comme chaque année, j’ai participé avec attention au Comité des finances locales réuni mardi 29 septembre 2009 en présence des ministres de l’Economie, des Comptes publics et des Collectivités locales. J’y ai déclaré que « le projet de loi de Finances marquait une rupture majeure dans le financement de l’action publique locale ».
D’ores et déjà, la capacité d’autofinancement du secteur public local s’érode régulièrement depuis 2004. Celle-ci s’élevait à 19,2% des recettes de fonctionnement en 2004, elle est ramenée à 16,3% en 2008, soit une diminution moyenne du taux de 0,7 point par an. Ceci, malgré la hausse régulière de la pression fiscale. Sans celle-ci, la diminution tendancielle aurait été supérieure à 1 point par an. Les collectivités locales ont compensé cette dégradation par une augmentation, certes raisonnable, du recours à l’emprunt. Cette situation est aujourd’hui encore maîtrisée, elle le sera de moins en moins dans la mesure où l’effet de ciseau va s’accentuer considérablement sous le double effet d’une augmentation inéluctable des dépenses et de la stagnation, voire du recul, des recettes.
Parmi les causes d’augmentation des dépenses figurent notamment la pression des dépenses à caractère social et familial : prestations servies par les départements, coût croissant pour les communes de l’accueil de la petite enfance par exemple. La profusion des normes de toute nature – qui commence tout juste à être combattue par la commission consultative d’évaluation des normes – est génératrice de charges nouvelles.
Je rappelle également que les collectivités paieraient elles aussi la taxe anti-carbone sans en être le moins du monde compensées, contrairement à tous les autres acteurs économiques. On peut estimer à environ 2 euros par habitant le coût de la taxe anti-carbone pour les collectivités locales, soit près de 150 millions d’euros par an et 0,5 point d’impôt sur les ménages, ce qui est loin d’être négligeable.
Mais la principale inquiétude provient des recettes.
En premier lieu, la progression limitée à +0,6% de l’enveloppe des dotations – soit un chiffre moitié moins important que l’inflation prévue pour 2010 – va provoquer une diminution très sensible de la dotation globale de fonctionnement (DGF) perçue par plusieurs milliers de communes moyennes, dont certaines pourraient perdre jusqu’à 3% de leur recette de DGF. C’est là une situation totalement inédite. Ceci est d’autant plus pénalisant que, contrairement aux déclarations permanentes de l’Etat, la DGF de base (dite « forfaitaire ») a perdu régulièrement du pouvoir d’achat pendant ces dernières années : entre 2002 et 2008, la DGF forfaitaire a progressé de 8,5%, l’inflation officielle de 11,8% et l’indice du « panier du maire », qui mesure l’augmentation spontanée des dépenses des communes, de 20%. L’érosion des dotations d’Etat est donc avérée pour la plupart des communes, même si quelques-unes ont pu être épargnées au nom de la péréquation.
Le projet de loi de Finances comporte également la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par diverses recettes. On a de nouveau pris en considération avec beaucoup de soin les contribuables – en l’occurrence les entreprises – sans porter la même attention à ceux qui recevaient l’impôt, à savoir les collectivités locales. Les lobbies économiques ont fonctionné à merveille pour faire en sorte que la réforme ne fasse que des gagnants du côté des acteurs économiques, même chez ceux qui, profitant des effets d’aubaine d’un système effroyablement complexe, étaient déjà largement épargnés. En revanche, faute d’une volonté clairement affirmée, le texte reste peu abouti quant à la répartition des impôts de remplacement entre les collectivités locales, et il est d’ailleurs à craindre que la complexité qui se dessine déjà ne conduise dans les prochaines années à une évolution technique de même nature que celle que nous avons connue depuis trente ans avec la taxe professionnelle.
Surtout, la réforme conduira à des recettes d’une part beaucoup moins évolutives que l’ancienne taxe professionnelle – qui avait certes beaucoup de défauts, mais rapportait beaucoup aux collectivités locales et reste à l’origine de leur relativement bonne santé financière – et d’autre part, sur lesquelles les élus n’auront pratiquement plus de marge de manœuvre de taux. En cela, il s’agit d’un recul considérable de l’autonomie locale, qui aura d’immenses conséquences dans les années à venir, avec un recul important des capacités financières, et donc d’investissement public, du secteur public local.
C’est en cela que ce projet de loi de Finances marque une profonde rupture. Clairement, le pouvoir central sacrifie l’investissement public, après avoir réclamé le soutien au plan de relance. C’est un discours en apparence contradictoire, mais qui procède d’une logique profonde de remise en question de la décentralisation, qui pourrait n’avoir été qu’une parenthèse de courte duré dans l’histoire du pays. Malheureusement, il sera trop tard lorsque les Français, attachés à leurs services publics locaux, le comprendront et en ressentiront les conséquences.