Ayons confiance envers les acteurs des territoires !

Depuis le rapport Guichard de 1976 jusqu’aux récentes lois Maptam et NOTRe, le sujet de la « réforme territoriale » est un marronnier. Décentralisation et déconcentration des services de l’Etat sont deux sujets sensibles porteurs de multiples débats. A ce titre, les années 2000 ont ouvert un nouvel angle d’attaque : il est désormais de bon ton de traiter ce thème par le prisme des économies et d’entretenir l’illusion que rationaliser le « millefeuille » réglera bien des problèmes.

Seulement, ca ne marche pas. La suppression de la moitié des régions, le relèvement du seuil minimal pour constituer une intercommunalité, les coupes claires dans les budgets ou l’obsession de la mutualisation n’ont pas permis de répondre aux vrais problèmes économiques du pays : le chômage et la question du déficit des comptes sociaux. En réalité, les récentes réformes n’avaient finalement qu’un seul but : répondre à la demande pressante de « réformes » exigées par Bruxelles. Il était plus facile et politiquement moins dangereux pour l’exécutif national de s’attaquer au secteur public local – en encourageant les campagnes de dénigrement menées par quelques officines – que de réformer en profondeur l’Etat ou de trancher dans le vif des comptes sociaux.

Pour autant, la question de la « réforme territoriale » soulève d’autres enjeux étrangement moins mis en avant : la coordination des politiques nationales et locales, la clarification des compétences respectives de l’Etat et des collectivités, l’approfondissement de la décentralisation, le partage des ressources publiques entre tous les acteurs.

Les collectivités territoriales organisent et fournissent les services du quotidien, assurent la solidarité ou encore créent et entretiennent les équipements et les infrastructures nécessaires à la vie quotidienne et au développement économique. Les communes, les départements et les régions répondent aux problématiques de proximité et de continuité. Les élus locaux et les agents de la fonction publique territoriale s’engagent au quotidien à répondre à ces défis, dans un contexte de baisse des dotations aux collectivités. Malgré cela, les comptes des collectivités locales sont de bonne qualité. En dépit des critiques injustifiées et maladroites, parfois démagogiques, un examen objectif oblige à constater que le secteur public local reste ce qui marche le mieux !

Il faut donc aller plus loin : je suis convaincu que c’est la condition nécessaire du redressement. Plus de libertés locales, c’est plus de confiance envers les acteurs du terrain, moins de normes étouffantes, plus de dynamisme et de souplesse, plus de capacité d’innovation. Ce dont nous avons besoin pour redresser économiquement et moralement le pays.

Une organisation réellement décentralisée de la République et un retour de l’Etat à ses vraies responsabilités régaliennes redonnera l’élan nécessaire à chacun pour se consacrer pleinement aux citoyens. La décentralisation non seulement des compétences de gestion, mais également des pouvoirs, est, dans ses fondements, la meilleure forme d’organisation possible pour la France d’aujourd’hui et de demain. Les collectivités territoriales doivent avoir en responsabilité complète d’assurer le développement de l’offre de service de proximité, les investissements d’infrastructures, la solidarité locale, le soutien à la création sous toutes ses formes, la formation initiale et continue, l’accompagnement du développement économique et de la transition énergétique, la préservation de l’environnement, la culture, etc… Autant de missions qu’elles assurent déjà en partie, mais qu’il faut leur confier en totalité et en toute responsabilité. 

Pour ce qui existe déjà, le dispositif de délégation de compétence crée par la loi du 24 janvier 2014 (dite Maptam) ne va pas assez loin à mon sens. Une « délégation de compétence » permanente aux collectivités territoriales sur les sujets non régaliens consacrerait une véritable décentralisation. Cette décentralisation pleine et entière supposerait à la fois une évolution institutionnelle (notamment sur le rôle et le fonctionnement du Sénat), un arbitrage clair sur le partage des ressources et, surtout – et ce sera le plus difficile – une acceptation par l’Etat de sortir de sa culture historiquement centralisatrice. 

Une telle évolution est infaisable si une réflexion de fond n’est pas conduite sur le partage des ressources fiscales. La situation actuelle est ubuesque et anormale. Les collectivités locales assurent l’essentiel des services de proximité et de l’investissement public, mais c’est l’Etat qui garde l’essentiel de la ressource fiscale, assurant ainsi une tutelle insidieuse et inacceptable par le biais des transferts financiers. Il faut en finir. Cette situation est infantilisante, contre productive, illisible pour le citoyen. Organisons donc, comme dans la plupart des pays développés, le partage des grands impôts modernes (impôt sur le revenu, TVA, impôt sur les sociétés) entre l’Etat et les grandes collectivités, qui, elles-mêmes, assureront par le biais de la péréquation horizontale l’égalité de financement sur l’ensemble du territoire national. Pour garder une ressource très localisée, modernisons l’impôt foncier, à disposition de chaque commune. Une telle évolution serait assurément la marque de l’entrée de notre pays dans une vraie République décentralisée, conformément à la Constitution, donnerait un nouvel élan à notre développement économique, social et culturel, rapprocherait et réhabiliterait une parole politique largement dévaluée. 

Nous assistons depuis plus de trente ans à un véritable mouvement de fond, traduit par de multiples transferts de compétences et une organisation progressive entre Etat et échelons territoriaux. Mais nous n’allons pas au bout du paradigme. Bloqués par une culture très française consistant à attendre tout de l’Etat, nous hésitons encore à construire l’action publique à partir des territoires. Prenons donc le risque de la confiance envers les acteurs locaux : ils ont montré qu’ils savaient faire.

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