Police municipale : une clarification indispensable

Au lendemain des dramatiques évènements de cet été, l’épineux débat ressurgit avec vigueur : quelle est la responsabilité exacte d’une police municipale ?

La similitude des véhicules sérigraphiés et des uniformes était déjà un premier facteur de confusion dans l’esprit des citoyens, qui ne font pratiquement plus de différence entre police municipale et nationale. Le développement actuel de l’armement des policiers municipaux, clairement encouragé par l’Etat, vient aggraver encore cette confusion. Dans ce contexte sensible marqué par des enjeux sécuritaires omniprésents, le périmètre d’action de la police municipale (sa « doctrine d’emploi ») est ainsi devenu une préoccupation majeure pour les maires. Elle devrait l’être aussi pour le citoyen, pas suffisamment conscient de ce qui se joue dans ce transfert insidieux de responsabilité de l’Etat vers les communes.

Car le débat qui se pose aujourd’hui mêle tout autant libertés individuelles, éthique policière, conception du rôle de maire, mise en œuvre du principe d’égalité de tous les citoyens dans le domaine du « droit à la sécurité ».

Seules 10% environ des communes françaises disposent d’une « police municipale », qui emploient au total environ 20 000 policiers municipaux (auxquels s’ajoutent dans les villes les plus importantes des « agents de surveillance de la voie publique », agents administratifs ne disposant pas des même compétences que les policiers municipaux). Rappelons à cet égard que la police nationale emploie, tous personnels confondus, environ 140 000 fonctionnaires, et que les entreprises de sécurité privée recensent en France à peu près autant de salariés.

Les écarts entre les polices municipales, d’une commune qui en dispose à une autre, sont réels. Les effectifs, les doctrines d’emploi et les moyens de fonctionnement sont définis par l’autorité territoriale, qui recrute, nomme et finance le service municipal. Si certains policiers municipaux disposent seulement d’une matraque ou de lacrymogènes (arme de catégorie D), d’autres sont munis d’une arme à feu. Des disparités qui résultent avant tout de la conception qui prévaut dans la commune, mais également des moyens budgétaires dont les collectivités territoriales disposent, et qui conditionnent le nombre, l’équipement et la formation des policiers municipaux.

Le développement de certaines polices municipales a ainsi été surtout le fait de maires dont les communes disposent d’importants budgets, et croyant ainsi mieux répondre à la demande de tranquillité publique exprimée par leurs administrés. En effet, la politique de développement d’une « police de proximité », voulue par le gouvernement de Lionel Jospin à la fin des années 90 et répondant assez largement à cette demande de tranquillité publique, allait être violemment remise en question par le ministre de l’Intérieur du gouvernement Raffarin, Nicolas Sarkozy, dès 2003, à la faveur d’une police d’intervention. Dès lors, le besoin de « sécurité de proximité » a été progressivement assuré, là où les maires l’ont décidé, par les polices municipales.

Mais tout ceci s’est fait de manière inégale sur le territoire français, au bon vouloir des élus locaux, sans une conception réellement organisée qu’aurait pu permettre une loi spécifique organisant un transfert de compétences officiel de l’Etat vers les communes (et éventuellement intercommunalités) concernant cette nécessaire « police de proximité ». On comprend naturellement l’Etat, ou plutôt Bercy : une telle loi aurait entraîné immédiatement des conséquences financières importantes pour l’Etat, celui-ci ayant pour obligation constitutionnelle de compenser intégralement le coût des transferts de compétences. Il aurait fallu également organiser le transfert d’une partie des personnels de la police nationale vers les communes, tâche quasi impossible à mener pour des raisons que chacun comprendra.

Du coup, l’Etat a trouvé, dans ce transfert qui ne dit pas son nom, un moyen efficace pour limiter ses propres dépenses affectées à la sécurité, tout en contrôlant finalement, avec le concours de syndicats catégoriels, le fonctionnement des polices municipales. Il a donc progressivement transféré de façon insidieuse une part de plus en plus large de la sécurité publique aux maires qui l’ont bien voulu, sans aucune compensation financière, en acceptant l’inégalité territoriale qui en résulte et en fermant les yeux sur l’extrême confusion qui en résulte et qui continue de se développer, source de polémiques futures sur les responsabilités des uns et des autres.

Oui, la sécurité de nos concitoyens, la lutte contre la délinquance et le terrorisme sont une exigence absolue. Elles ne relèvent pourtant pas de la compétence des maires, mais bien de celle de l’Etat. Cette responsabilité est indissociable de ses missions régaliennes. Le caractère national de la police (et de la gendarmerie) doit aussi assurer une égalité territoriale qui, à l’heure actuelle, est de moins en moins vérifiée compte tenu de la diminution progressive – malgré les récentes mesures gouvernementales – des effectifs sur le terrain.

Oui, les maires et leurs services peuvent et doivent jouer un rôle en la matière : en assurant la lutte contre les incivilités du quotidien qui, souvent, conduisent au développement de ce sentiment d’abandon que nos concitoyens ne supportent plus, en mettant à la disposition des services de police nationale leur connaissance du territoire, en signalant des situations suspectes ou anormales (y compris auprès des services sociaux), en menant des politiques de prévention auprès des publics les plus fragiles, en participant à l’éducation des enfants et des jeunes, en veillant à la bonne marche quotidienne de la commune, les services de police municipale – que certains maires préfèrent nommer différemment pour ne pas continuer à entretenir la confusion – ont suffisamment à faire sans entrer en « concurrence » avec ce que sait – très bien – faire la police nationale, dont les compétences et la formation sont d’une autre nature que celles des polices municipales.

Il faut dès maintenant un vrai débat de clarification dans notre pays, pour enfin sortir de l’ambiguïté qui risque de gangréner les politiques de sécurité en France comme on en a déjà eu un aperçu dans ces malheureuses et si stériles polémiques de juillet, après le drame de Nice. Chacun ses compétences et son savoir-faire, chacun son rôle, chacun sa place, chacun ses responsabilités.

 

Laisser un commentaire