« Poison présidentiel »
« Poison présidentiel », c’est le titre d’un ouvrage que vient de signer la journaliste Ghislaine Ottenheimer (éditons Albin Michel). Un essai décapant, qu’il faut lire absolument, sur notre monarchie républicaine, « frivole et décadente ».
Ghislaine Ottenheimer y va carrément. Selon sa (brillante) démonstration, magistralement illustrée et étayée, la principale responsabilité des difficultés de notre pays à s’adapter au monde d’aujourd’hui n’incomberait ni aux corporatismes, ni aux syndicats, ni aux élus, ni à une sorte de médiocrité générale, mais … aux institutions elles-mêmes. Et tout particulièrement à la réforme de 1962, adoptée par référendum, faisant élire le président de la République au suffrage universel direct, qui est venue déséquilibrer l’édifice construit par Michel Debré et quelques autres en 1958. Taillée pour le général De Gaulle, qui se méfiait des parlementaires, cette réforme a conduit à la « monarchie républicaine » que nous connaissons. Ses successeurs, dont certains s’étaient vigoureusement opposés au système qualifié notamment de « coup d’Etat permanent », se sont battus pour accéder à la fonction et s’y sont ensuite parfaitement complus. Ils l’ont même renforcé avec le quinquennat et le choix de l’organisation des élections législatives juste après la présidentielle.
Or, ce régime apparaît, après 50 années de fonctionnement, totalement déséquilibré, notamment en regard de la Constitution originelle de la Vème République, adoptée en 1958, qui faisait du Premier ministre le chef de l’exécutif gouvernemental. Et ce déséquilibre s’accentue. Malgré quelques tentatives, le Parlement n’a que très peu d’influence, le gouvernement non plus. Ghislaine Ottenheimer montre à la perfection, des centaines d’exemples à l’appui, comment, auréolé de l’onction populaire, donnée une fois pour 5 ans, le président de la République s’occupe de tout, se mêle de tout, décide de tout. Au risque de bâcler, d’improviser, de soumettre son entourage, d’entretenir l’esprit de cour. Bref d’empêcher toute prise de responsabilité à d’autres niveaux. La puissance de la haute administration et la difficulté extrême d’un dialogue véritablement partenarial entre l’Etat et les collectivités locales trouvent aussi leur source dans cette prééminence absolue du président.
La prochaine élection présidentielle a lieu dans deux ans. Dès aujourd’hui, les médias sont saturés d’analyses, de spéculations, de proclamations sur le futur duel du second tour. L’enjeu des récents congrès des partis dominants n’ont nullement porté sur des idées ou un projet politique, mais sur la façon dont les chefs entendent verrouiller l’outil politique pour être le représentant de leur camp et attaquer celui d’en face, y compris personnellement. D’ores et déjà, toute idée d’une quelconque « union nationale » est bannie, voire suspecte de trahison : on ne peut reconnaître les vrais « chefs » qu’à leur capacité à s’affronter, et non à celle de collaborer, fût-ce dans l’intérêt général. Et tout cela, deux ans avant !
Le « poison présidentiel » est en train de tuer lentement notre pays. Qui aura enfin le courage d’administrer une antidote, alors même que les Français semblent drogués à ce poison qui leur donne l’impression (l’impression seulement, et c’est aussi cela le drame), une fois tous les cinq ans, de prendre en main leur avenir ? Malheureusement, on ne voit personne. Pauvre France !