Lettre ouverte à M. Emmanuel Macron

Le 28 avril 2017 

Monsieur le Ministre, 

La France vit un moment de rupture politique historique. Les clivages classiques et les partis traditionnels, qui ont structuré la vie politique depuis 35 ans, apparaissent obsolètes. La volonté des Français est d’être gouvernés autrement. 

Ce n’est pas seulement un changement politique qu’attendent nos concitoyens. C’est un changement de système, de style de gouvernance pour plus d’écoute, de proximité, de prise en compte de leurs difficultés réelles et de participation aux décisions. En vous portant à la tête des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, c’est ce qu’un grand nombre de nos concitoyens ont clairement exprimé. 

Il faut prendre grand soin à ne pas occulter ou négliger ce message et, ainsi, oublier le potentiel qu’il recouvre et l’espoir qu’il manifeste. Or, de très nombreux acteurs politiques et publics ne l’ont pas encore compris, prisonniers qu’ils restent des schémas anciens. 

Face aux difficultés internationales, nationales et sociales actuelles, la société française connaît des lignes de faille préoccupantes. Le rejet de l’autre, la fermeture constituent désormais clairement, pour un nombre élevé de nos concitoyens, une solution ou un refuge. 

A cette tendance lourde au repli et aux communautarismes, les collectivités locales apportent des réponses qui ont fait leurs preuves. Elles participent plus qu’aucun autre acteur à la cohésion sociale, à la présence républicaine et à l’animation des territoires. Elus locaux – au premier rang desquels les maires – corps intermédiaires et agents publics doivent être associés à un élan nouveau et encouragés à s’engager pour que cette « révolution », dont la plupart sont parfaitement conscients de la nécessité, réussisse. 

Les élus locaux et leurs équipes ont une pratique ancienne de l’ouverture politique, du dialogue social et des majorités de projet. Ils ont l’expérience de la démocratie de proximité et du travail collectif. Ils savent aussi ce que veut dire le mot « fraternité » et, avec notamment le milieu associatif, tentent de la mettre en œuvre au quotidien. Pragmatiques, ils ne se payent pas de grands mots et d’abstractions. Ils n’empêchent pas mais, au contraire, créent les conditions favorables à l’action, à l’innovation et à l’expression pleine de l’imagination créative dont regorge notre peuple. C’est pourquoi, aujourd’hui, guidés par les notions de « cas par cas » et de « communauté de vie », ils sont prêts à expérimenter. Par exemple, en matière de développement durable, les communes et intercommunalités sont avec certaines entreprises, exemplaires et innovantes. 

Les collectivités locales demeurent un intermédiaire institutionnel majeur, connues et appréciées de nos concitoyens, perçues comme utiles, légitimes et efficaces. Elles ont depuis plus de trente ans assumé de nombreuses responsabilités, jouant un rôle essentiel de « filet de sécurité ». La crise de 2008-2009 a démontré une fois de plus l’importance des services publics de proximité dans le modèle social français. Pourtant, en milieu rural comme dans les quartiers populaires des villes, la désertification des services publics et la fermeture de commerces et d’entreprises complexifient chaque jour davantage le rôle des élus. La résorption de la fracture sociale passe aussi par un investissement fort des pouvoirs publics – et de l’Etat en particulier – sur les services de proximité et le déploiement rapide du numérique. 

La décentralisation, à savoir le rapprochement des lieux de pouvoirs et des responsabilités politiques du citoyen, est un fait désormais acquis dans la gestion publique, mais qui n’a pas encore atteint sa plénitude politique. Ainsi, la notion même de « décentralisation » à toujours été étrangère à la culture de la très haute administration d’Etat. Certes, personne ne souhaite une autre vague de réformes qui déstabiliseraient une fois de plus le monde local et perturberaient à nouveau l’action des élus et des agents, au risque de l’immobilisme. En revanche, de nombreuses marges de manœuvre existent en termes de gouvernance et de management, et tout spécialement dans l’administration centrale.

L’Etat ne peut pas tout faire tout seul. Comme dans la plupart des pays européens, les acteurs engagés dans les territoires doivent pleinement être associés aux réformes. 

Ce « pacte » entre l’Etat et les collectivités,  beaucoup en ont parlé,  nul ne l’a vraiment mis en œuvre de manière concrète et organisée. Cet instrument – à l’instar de la charte proposée par l’AMF ou du rapport sur le temps de travail dans la fonction publique que j’ai présenté en mai 2016 au Gouvernement – peut être la base d’une nouvelle gouvernance, mieux partagée et plus « horizontale », des affaires publiques, au bénéfice de tous et dans une plus grande transparence et responsabilité. 

Monsieur le Ministre, si vous êtes élu le 7 mai prochain, ce que je souhaite, vous ne réussirez pas la France sans ses communes et ses collectivités territoriales et toutes les dynamiques qu’elles font vivre au quotidien. 

Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de ma plus haute considération. 

Philippe LAURENT

Maire de Sceaux

Secrétaire général de l’Association des maires de France

Président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale

Laisser un commentaire