La République est « décentralisée » … mais l’Etat est centralisateur !
Les collectivités locales sont dans le viseur de l’Etat. Ou, plus précisément de Bercy, ce qui est très largement et malheureusement, la même chose par les temps qui courent … Sous couvert de mots plutôt sympathiques comme « contractualisation », le pouvoir central ne cesse de vouloir réduire, en réalité, l’autonomie financière des collectivités locales. Qu’on en juge par exemple avec l’enclenchement du mouvement de disparition de la taxe d’habitation, impôt certes imparfait, mais local.
Mais il y a pire encore. Le projet de loi de programmation des finances publiques 2018-2022 impose en effet aux collectivités locales, d’une part un effort de réduction des dépenses de fonctionnement avec une limitation de l’évolution des dépenses à 1,2 % par an jusqu’en 2022, inflation comprise, et d’autre part la mise en place d’un mécanisme hautement technocratique entraînant une diminution drastique de leur possibilité d’endettement, leur ôtant de fait tout nouvel investissement, en dehors – et encore … – de l’entretien de l’existant.
Or, en raison notamment de la reprise économique envisagée, le taux d’inflation du pays va potentiellement augmenter durant les 5 prochaines années. Dans les annexes du projet de loi de programmation, les hypothèses d’inflation sont les suivantes : 1% en 2018, 1,1 % en 2019, 1,4 % en 2020, 1,75 % en 2021 et 2022. Par ailleurs, « l’indice des prix du panier du maire », calculé depuis 1999, montre que, compte tenu de la composition des dépenses des communes, l’inflation subie par celles-ci est supérieure en moyenne de 0,5% à l’inflation subie par les ménages. Enfin, les dépenses de collectivités locales, gestionnaires de services quotidiens auprès des habitants, suivent globalement l’évolution démographique. Or, la population française augmente en moyenne de 0,5% par an. En conséquence, le maintien du niveau actuel des services publics devrait faire évoluer les dépenses de fonctionnement de l’ordre de 1 point au-dessus de l’inflation, soit par exemple 2,75% (selon les hypothèses mêmes du gouvernement) pour les années 2021 et 2022. Très loin des 1,2% consentis … Un calcul rapide et sommaire fait donc apparaître que la « norme » de 1,2% par an se traduirait par une obligation de « baisse » des dépenses locales, entre la situation de 2017 et celle de 2022, de l’ordre de 25 milliards d’euros par an – et non de 13 milliards -, soit – 13%. Un montant inenvisageable, qui conduirait à fermer de nombreux services publics, à sacrifier des fonctions collectives de base, bref, à ruiner notre modèle de société.
En outre, le « ratio de désendettement » de la règle d’or « renforcée » va inévitablement conduire un grand nombre de collectivités, soit à une augmentation de la fiscalité qui n’est pas nécessaire pour respecter le fameux ratio, soit à une réduction rapide et massive de l’endettement par un arrêt brutal des investissements, dont nous paierons le prix dans quelques années avec des infrastructures dégradées. La conséquence de ce « corsetage » injustifié, puisqu’aucune collectivité n’est aujourd’hui en faillite, ni même en difficulté ! La dette des collectivités locales va diminuer – alors qu’elle ne finance que des investissements – et en même temps celle de l’Etat va probablement continuer d’augmenter, alors qu’elle finance essentiellement des dépenses de fonctionnement. Ce transfert – non dit, mais bien prévisible – est absolument inédit. Il va totalement à l’encontre des intérêts à long terme de notre pays et des Français. Il doit être dénoncé sans relâche.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment la doctrine de la « République dont l’organisation est décentralisée » a-t-elle pu évoluer à un tel point, qui met à bas la démarche décentralisatrice et responsabilisante engagée avant même les grandes lois Defferre de 1982 à 1984 ?
Il faut revenir au 7 février 1992. C’est le jour de la signature du traité de Maastricht, dont l’effet a été de « globaliser » l’approche des finances publiques et de rendre l’Etat seul responsable du respect du traité au regard de Bruxelles. Or, dans un Etat aussi centralisé culturellement que le nôtre, dans un pays où l’on confond si facilement l’Etat et la République, l’appareil étatique a tout naturellement succombé à la tentation d’en tirer argument pour reprendre un contrôle qu’il sentait lui échapper du fait du mouvement de décentralisation. D’où ces nouvelles normes de gestion imposées, dont, sous une apparence technicienne, on perçoit le caractère éminemment idéologique. Car le traité dit qu’il faut maîtriser le déficit – ce qui relève d’une nécessité de gestion -, mais il ne dit pas qu’il faut diminuer la dépense collective – ce qui relèverait de l’idéologie. Ne sommes-nous pas ainsi les spectateurs consentants, ou les acteurs inconscients, d’un profond changement de société ?