L’avenir de l’Europe ne passe plus par les Etats

J’ai participé en avril au congrès du Conseil des communes et régions d‘Europe (CCRE), en ma qualité de président délégué de la branche française du Conseil, l’AFCCRE. Se sont trouvés ainsi rassemblés plusieurs centaines d’élus, pour l’essentiel des maires, représentant les pays de l’Union européenne et, plus largement, du Conseil de l’Europe.

En tant que porte-parole du CCRE sur les questions de finances publiques, j’ai appelé à nouveau, avec le soutien de tous, à une révision du traité de Maastricht. Celui-ci ne distingue pas, en effet, le « déficit » ou la dette générés d’une part par des dépenses de fonctionnement, qui sont de la consommation courante, et d’autre part par des dépenses d’investissement, qui viennent accroître le patrimoine public : bâtiments publics, infrastructures de transport ou de communication, etc… La conséquence en est que les réductions de moyens financiers imposées, au nom de l’austérité et des fameux critères, aux collectivités locales partout en Europe se traduisent, parfois depuis de longues années, par un effondrement des investissements publics qui ont des effets sur la dégradation des équipements que l’on commence vraiment à remarquer, visuellement, dans certains pays.

Mais le traité de Maastricht a eu un autre effet. En prévoyant de globaliser la question des finances publiques dans chaque pays, et de rendre responsable unique de l’ensemble le pouvoir central et lui seul, en même temps seul interlocuteur de la Commission, le traité en question est allé à l’encontre de la charte de l’autonomie locale et régionale, pourtant l’un des textes les plus représentatifs des valeurs européennes. En effet, à partir du moment où les gouvernements centraux sont les seuls responsables aux yeux de Bruxelles en matière de finances publiques, ils se sont trouvés légitimés à exiger de la part des pouvoirs locaux de leur pays une soumission beaucoup plus forte à leur autorité. D’où l’affadissement des libertés locales partout constaté en Europe, ce qui ne va pas vraiment dans le sens du développement de la participation des citoyens à la vie démocratique. De mauvaises langues pourraient même imaginer que tout ceci a été pensé dans ce sens par des Etats centraux désireux de conserver la mainmise sur l’ensemble de l’action publique. Et pourtant, tout le monde sait que la dette publique locale reste, globalement très modérée, que l’allocation des ressources publiques est meilleure au niveau local car mieux contrôlée (y compris par les citoyens-contribuables), et que le « déficit » au sens Maastricht des autorités publiques infra-nationales est proche de zéro grâce aux règles budgétaires plus contraignantes qui sont imposées au niveau local.

Malheureusement, on commence à entrevoir vers quelles difficultés la prise en main par des gouvernement centraux trop courts-termistes nous conduit. Le constat a été pratiquement unanimement dressé d’une dégradation de la qualité de la gouvernance publique en Europe ces dernières années. Les pays ont tendance à se renfermer sur eux-mêmes, par peur de l’extérieur. La confiance dans les gouvernants centraux décline, et ce déclin alimente le populisme qui progresse rapidement. Le rêve européen de paix et de démocratie à la fois vivante et apaisée en est très durablement compromis.

En même temps, les débats autour de la ville durable, de l’émergence d’une vraie réflexion stratégique sur la ville et le phénomène de « métropolisation », les échanges sur l’économie circulaire, sociale et solidaire, l’engagement des jeunes élus dans une démarche résolument plus ouverte sur la démocratie participative, tout cela a aussi montré lors du Congrès une évidence : l’innovation sociale et citoyenne se développe à l’échelle des pouvoirs locaux, et exclusivement à cette échelle. Les gouvernements centraux, qui ont une peur panique de l’ « erreur », ont abandonné toute capacité d’expérimentation.

Un dernier mot sur un sujet qui n’a été qu’effleuré : l’avenir des négociations autour du traité transatlantique de libre-échange. Celui-ci ne suscite aucunement l’enthousiasme, d’une part parce qu’il engage la construction d’une société très éloignée des standards européens, d’autre part parce qu’il conduit de fait à la mise sous tutelle des pouvoirs locaux qui perdraient une bonne partie de leur autonomie. La Commission européenne penche déjà suffisamment vers une primauté du droit à al concurrence sur le service public pour ne pas en rajouter. Je me suis exprimé au nom de l’AFCCRE sur ce sujet (à retrouver ici). A l’heure où ces lignes sont écrites (début mai), il semble que le projet ait du plomb dans l’aile, malgré le lobbying effréné du président américain …

Le congrès du CCRE a finalement permis de dégager une leçon majeure : la construction européenne n’avancera plus avec les Etats, mais avec les régions et les métropoles, là où reste encore une capacité d’innovation. L’enjeu pour nos démocraties est majeur. C’est la dernière chance de l’Europe rêvée par ses pères fondateurs.

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