Insécurité : les chiffres ne disent pas tout du travail de terrain
Depuis plusieurs années, la sécurité fait l’objet d’un traitement politique et médiatique court-termisme indigne des enjeux qui lui sont liés. En 2002, l’agression d’un homme – Paul Voise – avait totalement réorienté la campagne présidentielle jusqu’à largement contribuer à la présence du Front National au second tour. Ce même FN qui, quelques années plus tard, avait tenté de tirer une nouvelle fois sur les ficelles des peurs à des fins électorales…[1].
Que les chiffres de la délinquance fassent les gros titres sans aucune autre forme d’analyse n’interroge personne. Le « marronnier » médiatique se suffit à lui-même. Quitte à entretenir un mauvais climat – voire un concours entre quartiers dans le cas des voitures brulées de la Saint-Sylvestre. Alors on commente et on se réjouit d’une baisse des « vols à la roulotte ». Mais qui sait seulement ce que sont les vols à la roulotte ? Peu importe, seuls comptent les chiffres !
Mesurer la délinquance ne signifie pourtant rien. Les chiffres officiels sont souvent exploités comme tels mais ils n’indiquent en réalité rien d’autre que l’activité policière à un instant T. Ils reflètent notamment les plaintes déposées. Or, tous les faits ne donnent pas lieu à un dépôt de plainte systématique. Il conviendrait donc de changer de mode de calcul, de prendre les statistiques avec du recul et surtout d’analyser les dynamiques sur un temps long.
L’exemple de la police de proximité illustre tout à fait ces travers. Ce dispositif a assuré une présence continue des services de sécurité de l’Etat sur le terrain. Un recrutement adroit et localisé a facilité l’ancrage sur le long terme des agents et leurs possibilités de rencontre – donc d’acceptation – avec les habitants. Ces derniers se sont alors, logiquement, davantage tournés vers leur police… faisant gonfler les fameux chiffres !
Pourtant, de l’avis de tous, policiers, habitants et élus, le climat était meilleur et ce service public de proximité parfaitement assuré sur l’ensemble du territoire. Ces 40 dernières années, ce dispositif a constitué la seule doctrine claire en matière de sécurité. L’Etat avait eu l’audace de croire en l’intelligence collective et de mettre en place une police d’enquête et de service, proche et utile à la population.
Sa disparition en 2003 a été une catastrophe. La police municipale a changé de couloir. De service d’aide aux personnes elle s’est mutée en force d’intervention. La baisse des chiffres de la délinquance, très largement commentée sur les plateaux de télévision par des pseudos experts en tout, n’a fait illusion qu’un temps. Les plaintes ont tout simplement été moins nombreuses. D’ailleurs, est-ce un hasard si 2 ans seulement après la suppression de la police de proximité éclataient les « émeutes » urbaines ?
Alors, il a fallu revenir à ce qui a été déconstruit mais sans trop le dire : unités territoriales de quartiers (UTQ) et zones de sécurité prioritaires (ZSP) ont rétabli une forme de proximité Canada Dry. Les maires ont parallèlement été encouragés à « développer » leur police municipale.
Ce changement d’approche a gravement rompu le principe d’égalité territoriale et de continuité des services publics. Si les attentes des citoyens sont fortes en matière de sécurité, toutes les communes n’ont en effet pas les moyens de se doter d’une police municipale formée, équipée et en nombre. Il en va de même quant aux systèmes de vidéo-surveillance qui, rappelons-le, n’arrêtent personne. C’est la raison pour laquelle la sécurité doit demeurer une compétence régalienne de l’Etat.
Le phénomène de radicalisation que nous connaissons un peu partout dans notre pays démontre bien que la rupture de chaîne est une erreur. La plupart des spécialistes plaident pour une continuité entre ceux qui observent sur le terrain au quotidien des comportements suspects et ceux chargés des enquêtes ou du renseignement, et ayant les moyens de le faire. Aussi, d’une certaine façon, la police locale ne peut être que nationale.
Les maires ne doivent pas pour autant être dédouanés de leur responsabilité en matière de sécurité. Il semble évident qu’ils fassent partie du tour de table. Cessons cependant de diffuser l’idée que nous vivons dans le Far West et qu’ils sont les shérifs. Donnons-leur par contre davantage de moyens pour mettre en œuvre les contrats locaux de sécurité. Ce serait déjà bien.
Le sentiment d’insécurité est une construction qui puise très largement sa source dans le contexte environnant. Internet et les chaines d’information en continu ont cette capacité à rapprocher les gens, jusqu’à donner le sentiment qu’une histoire de délinquance circonscrite à la banlieue de telle ou telle métropole puisse demain arriver aux portes d’une commune située à des centaines de kilomètres des faits. Il émane également de la réalité d’un sentiment d’abandon, d’une désertification de l’Etat sous toutes ses formes (institutions et présence d’agents publics) dans ces territoires.
Le retour d’une forme de police de proximité – rebaptisée « police de sécurité quotidienne » – qui semble se dessiner serait une excellente nouvelle. Dans le contexte sécuritaire que nous connaissons, elle permettrait de mailler à nouveau le territoire – villes urbaines mais également communes périphériques – et de recentrer les fonctionnaires de police sur leur cœur de métier : la disponibilité permanente auprès de la population plutôt que l’exécution de tâches administratives ou de missions élémentaires, dont le numérique pour une part et les gardes urbains, comme à Sceaux, pour une autre pourraient prendre en partie le relai.
Si bien entendu les « urgences » sécuritaires qui impactent fortement le quotidien de nos concitoyens méritent d’être traitées, elles ne peuvent constituer plus longtemps l’alpha et l’oméga des politiques publiques en matière de sécurité. Elus, experts et médias doivent ainsi travailler ensemble à faire preuve de responsabilité sur ces sujets car le feuilletonage presse les décideurs politiques à riposter. Or, les décisions rapides sont habituellement peu propices à l’intérêt général. Mais l’enjeu est de taille. Les tragiques évènements qui frappent l’Europe depuis 2015 nous ont en effet montré ce qu’était vraiment l’insécurité.
[1] http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/06/10/quatre-militants-du-fn-denoncent-une-insecurite-creee-de-toutes-pieces_4651275_823448.html