Finances locales : le tournant de la confiance
Congrès des maires de France – 20 au 22 novembre 2007
Depuis trois ans, nous annonçons ici la crise des finances locales. Nous y sommes.
Nous sommes aujourd’hui à un tournant.
D’un côté, le poids des contraintes et des besoins de nos concitoyens, la constante amélioration des services que nous organisons en direction de nos concitoyens, le désengagement de l’Etat et des services publics sur nos territoires, aussi bien en milieu rural qu’en banlieue, tout ceci fait progresser les dépenses publiques locales.
Ainsi, à service constant, comme le montre l’indice des prix des dépenses communales dont nous publions les chiffres pour la quatrième année et dont personne n’a jamais contesté la réalité et le caractère objectif, les coûts de fonctionnement des communes augmentent deux fois plus vite que l’inflation compte tenu des contraintes multiples de la gestion communale, dont une bonne partie sont imposées par l’Etat.
De l’autre côté, les ressources, au mieux, stagnent. La remise en cause du pacte de croissance et de stabilité imposée à partir de 2008 était malheureusement prévisible. Nous y avions échappé l’année dernière. Ce n’est certes pas une raison pour s’y résigner. Compte tenu des mécanismes d’indexation et de garantie de la DGF, un grand nombre de nos communes ne verront leur dotation d’Etat progresser que d’un niveau à peine égal à un dixième du taux de progression naturel de leurs dépenses ! Pire même, celles dont les ressources proviennent de façon significative de la compensation de taxe professionnelle pourront voir leurs ressources en provenance de l’Etat fortement diminuer. Cette situation est injuste. Elle est aussi contre-productive à terme, alors que l’on sait l’apport des dépenses publiques locales – notamment d’investissement – pour la croissance économique.
L’effet de ciseau entre des dépenses qui augmentent de façon inéluctable pour faire face à la demande sociale, mais aussi aux obligations de notre pays dans de nombreux domaines, et des ressources en stagnation, est avéré et s’amplifie d’année en année. La crise est là. Nous l’avions vu venir.
Dans ce contexte que chacun connaît, où l’urgence commande, que demandons-nous et que proposons-nous ?
D’abord, que nous soit reconnu le droit absolu de faire, avec nos conseils municipaux, des choix financiers, donc politiques, et la capacité à les assumer. Même si l’intensité du discours accusatoire auquel nous étions malheureusement habitués a diminué, il subsiste encore de façon significative dans tel ou tel ministère la conviction selon laquelle les communes gaspillent l’argent public. Rappelons que les collectivités locales voient leur dette augmenter (très peu) uniquement pour financer des investissements et préparer l’avenir, alors que l’Etat continue d’emprunter pour payer les salaires tout en diminuant l’impôt ! Les donneurs de leçons feraient mieux d’y regarder à deux fois.
Ensuite, que cesse enfin le désengagement de l’Etat. La remise en cause de l’indexation de l’enveloppe des concours financiers doit désormais être stabilisée. En particulier, nous ne pourrons pas accepter une remise ne question, quelle qu’elle soit, du mécanisme du fonds de compensation de la TVA, comme l’idée continue de prospérer dans quelques bureaux parisiens. Le FCTVA doit rester ce qu’il est, une compensation intégrale de la TVA payée par les communes sur leurs investissements. Remettre en cause l’assiette du FCTVA, son mode de calcul, sa répartition, constituerait un retour en arrière et raviverait un contentieux politique lourd, qui ruinerait toute tentative d’une collaboration plus confiante entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux, dont notre pays a bien besoin. Ce serait aussi une atteinte à la morale financière et fiscale : ne pas compenser entièrement la TVA sur les investissements publics locaux conduirait à ce que l’Etat prélève une dîme sur les investissements publics locaux. C’est bien entendu inacceptable.
Nous voulons aussi que reste vivant le lien financier entre les communes et l’Etat que constitue aujourd’hui la dotation globale de fonctionnement. Elément essentiel de la reconnaissance du rôle particulier du maire, représentant de l’Etat sur son territoire, la DGF doit rester communale et ne pas se fondre dans une DGF territoriale qui serait exclusivement répartie par les communautés. Il s’agit là d’une perspective que, clairement, nous refusons. En même temps, la DGF doit encore accentuer son rôle principal de péréquation financière entre les communes. C’est à l’Etat, garant de l’égalité d’accès aux services publics sur l’ensemble du territoire, d’assurer principalement cette péréquation indispensable, afin que puissent continuer à vivre tous les territoires de notre pays, les centre villes comme les espaces ruraux ou les banlieues.
Enfin, nous proposons une réforme globale de la fiscalité, comme le montre le document publié il y a une semaine. La fiscalité actuelle est inadaptée au rôle que jouent les collectivités territoriales dans l’économie du pays, dans son équipement et dans la production de services au quotidien. Comment imaginer en effet financer un budget global qui approche les deux tiers de celui de l’Etat avec la fiscalité locale que nous connaissons ? En même temps, nous sommes convaincus qu’une réelle liberté fiscale est la clé d’une décentralisation réussie et assumée en toute responsabilité.
Cette réforme du système fiscal local est voulue conjointement par l’AMF, l’ADF et l’ARF, dans le même sens. La nouveauté de la démarche commune des trois principales associations d’élus doit être soulignée : elle marque le début d’une époque où il faudra compter avec les élus locaux, non seulement pour appliquer des politiques publiques décidées ailleurs, mais pour jouer pleinement leur rôle dans la définition de ces politiques publiques pleinement partagées.
Nous sommes aujourd’hui devant une véritable contradiction, entre la globalisation des finances publiques entraînée par la démarche des critères de convergence européens d’une part, et l’affirmation de l’autonomie locale. Cette contradiction, bien réelle, ne peut à l’évidence être surmontée que « par le haut » : il faut impérativement et rapidement passer de la situation actuelle de blocage et d’un climat de suspicion entre pouvoir central et pouvoirs locaux, à une conception et une élaboration loyalement partagées des politiques publiques et, partant, à une répartition équilibrée des ressources publiques, donc de l’impôt. L’impôt local, de plus en plus sollicité, doit aussi bénéficier de bases larges et évolutives, représentatives de la vraie capacité contributive des Français. En même temps, les élus locaux doivent pouvoir assumer toute la responsabilité de leurs choix politiques, et donc également la responsabilité fiscale. Les finances locales, ce n’est pas seulement une technique effroyablement complexe. C’est aussi et surtout la conséquence de choix ou de non-choix politiques.
Nous appelons à passer des déclarations incantatoires et accusatoires, à une nouvelle démarche de négociation équilibrée. Cela suppose une nécessaire et profonde évolution de la culture même de l’appareil d’Etat, qui n’en finit pas de se considérer comme le seul dépositaire de l’intérêt général, vers davantage d’humilité. Un nouvel équilibre, issu d’une négociation plus égalitaire et d’une acceptation mieux assumée de la légitimité des pouvoirs locaux, permettra seul de rendre plus efficace la dépense publique.
Il n’y a pas d’autre chemin, nous en sommes convaincus. Reste au gouvernement d’en faire prendre une claire conscience à l’appareil d’Etat. Ce ne sera sans doute pas le plus facile, même si la création de la conférence des exécutifs en constitue une première avancée que nous saluons.