Décentralisation : un bilan positif !
Entretien avec Alexandre Devecchio, pour Atlantico.fr
Pendant deux jours, les élus ont pris la parole sur le prochain « acte de la décentralisation », à l’occasion des Etats généraux de la démocratie locale du Sénat. Ce prochain acte de décentralisation est-il vraiment une bonne nouvelle ? Quel est le bilan des 30 ans de décentralisation ?
Le bilan de la décentralisation est incontestablement positif. D’abord pour les citoyens, qui ont bénéficié d’un développement sans précédent des services publics locaux dans tous les domaines de la vie quotidienne. Ensuite pour l’aménagement et le développement des territoires : il a été mis fin au fameux « Paris et le désert français ». Enfin, pour l’équilibre institutionnel : les élus locaux, ainsi que leurs équipes, ont gagné en légitimité et en compétence. Seul l’Etat n’a pas encore tiré toutes les conséquences pour lui-même de la décentralisation. C’est souvent en son sein que se situent les doublons. C’est l’un des enjeux du prochain « acte », qui ne devrait pas porter sur des transferts importants de compétence mais davantage sur un réglage institutionnel et financier, et la restauration d’un climat de confiance entre pouvoir central et pouvoirs locaux.
La proximité permet-elle une meilleure gestion ou s’agit-il au contraire d’une dérégulation libérale et d’un retour aux féodalités ?
Oui, la proximité permet une meilleure gestion, cohérente avec les réalités et les besoins des territoires et de leur population. La décentralisation ne conduit aucunement à la dérégulation, mais à une régulation adaptée. Les pouvoirs locaux, élus au suffrage universel, ont la même légitimité et la même capacité à définir l’intérêt général que le pouvoir national. Les féodalités d’aujourd’hui se trouvent bien davantage dans certains ministères, qui n’ont toujours pas intégré les évolutions des trente dernières années, que dans les collectivités locales ! Si la France s’est construite à partir de son Etat depuis la Révolution, la décentralisation a permis de redécouvrir et de revaloriser sa diversité, en même temps qu’elle a mobilisé l’énergie des acteurs locaux.
En 2009, le rapport Balladur s’alarmait d’un « manque de lisibilité » et une « difficulté à maîtriser la dépense publique locale ». Les collectivités territoriales sont régulièrement pointées du doigt sur l’explosion des effectifs. La décentralisation est-elle un gouffre financier ?
Le rapport Balladur a été construit à partir d’un constat de départ totalement erroné. En affirmant dès le début que « cela ne marchait pas », il a nié le formidable apport de la décentralisation et a cherché des solutions pour remédier à des problèmes qu’il a en grande partie inventés. La dépense publique locale, ce n’est pas du gaspillage : ce sont des services quotidiens apportés aux habitants, ce sont des investissements structurants, ce sont des liens sociaux et du développement culturel, etc… Et les fonctionnaires territoriaux ne sont pas une charge, mais un atout dans une conjoncture très difficile pour de très nombreuses familles. Ils produisent, tous les jours, du service auprès des gens, dans les crèches, les écoles, auprès des aînés, etc… pendant que l’Etat continue de produire de la norme et du contrôle. La décentralisation, en mobilisant les énergies locales, a permis des réalisations que n’aurait jamais pu faire l’Etat centralisé. La vraie question est : faut-il développer ces politiques publiques ? il d’agit là d’un choix politique, à effectuer au niveau de chaque assemblée élue.
Les collectivités territoriales doivent-elles participer davantage à l’effort budgétaire ?
Elles le font déjà, et de manière importante. Les élus locaux sont des acteurs responsables. Ils savent équilibrer leur budget, ils savent optimiser la dépense publique. Les collectivités investissent chaque année 50 milliards d’euros, autofinancés à hauteur de 60% par l’excédent des ressources courantes sur les dépenses. L’Etat, lui, n’investit pratiquement plus et il s’endette pour les frais de fonctionnement ! Les transferts financiers de l’Etat vers les collectivités – en grande partie issus d’impôts locaux que l’Etat a supprimés – sont gelés depuis trois ans, et on annonce une baisse en 2014 et 2015. Que veut-on de plus ? Ceux qui pâtiront de cette situation, ce sont d’abord les Français, avec moins de services, et les entreprises et donc l’emploi, avec moins d’investissements et donc moins de marchés. Parlez-en aux entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics !
La décentralisation facilite-t-elle la corruption (permis de construire de complaisance, appel d’offre truqué) ?
Toute situation dans laquelle une personne détient un pouvoir, impliquant notamment des conséquences financières, peut conduire à la corruption. Cela est vrai au sein de l’Etat, des entreprises publique et privées, ou des collectivités locales. L’examen attentif des « affaires » des trente dernières années montre que les collectivités locales ne sont pas plus victimes de corruption que les autres acteurs économiques. Les mécanismes de contrôle (et notamment les chambres régionales des comptes) sont efficaces et reconnus. Et les élus locaux ont, pour leur immense majorité, une haute conscience de leur responsabilité au service de l’intérêt général et du bien commun.
En 2009, Nicolas Sarkozy avait fait des propositions pour simplifier le mille-feuille territorial, notamment la suppression du département. François Hollande s’apprête à enterrer ces propositions. Cela va-t-il dans le bon sens ?
La réflexion institutionnelle doit évidemment se poursuivre et s’amplifier. La complexité aujourd’hui atteinte en matière d’organisation administrative devient source de lenteur et de blocage. Trois éléments me semblent devoir être pris en considération. D’abord, l’Etat doit très profondément se réformer, et comprendre qu’il ne doit plus intervenir dans les domaines de compétence transférés aux collectivités locales, même si cela se traduit par des différences de politiques publiques selon les territoires. Ensuite, il faut admettre que, selon les territoires, l’organisation peut ne pas être la même. Ainsi, l’Alsace réfléchit au regroupement des la Région et des deux départements qui la composent. L’Ile-de-France ne peut pas avoir la même organisation que le Limousin. Assouplissons, adaptons aux réalités. Enfin, il faut en finir avec le cumul des mandats. Il faut des élus locaux entièrement consacrés à leur mandat et disposant d’un meilleur statut. C’est la conséquence logique de la décentralisation
L’Histoire de France très jacobine n’est-elle pas finalement incompatible avec la décentralisation ?
C’est une vraie question. La culture de la France, éprise d’égalitarisme – d’où le rôle central de l’Etat, à la fois protecteur suprême, seul recours, mais aussi responsable de tout aux yeux des citoyens -, rend le peuple instinctivement méfiant à l’égard de la décentralisation, et carrément hostile au fédéralisme, qui pourrait en être l’aboutissement logique. Et cette méfiance est d’ailleurs habilement exploitée par certains corporatismes, voire parfois utilisée dans des discours partisans de gauche comme de droite.
Il faut expliquer à nos concitoyens que le monde actuel exige souplesse, adaptation, mobilisation des territoires dans leur diversité : c’est cela, l’enjeu de la décentralisation. Les pays qui réussissent et apportent le bonheur à leur peuple sont décentralisés et font confiance aux acteurs locaux autant qu’au pouvoir central.