Tribune : la crise des “gilets jaunes” est partie des ronds-points des petites villes
L’association des maires des petites villes de France met en avant, dans une tribune au « Monde », quatre priorités pour que les territoires ne soient pas les grands oubliés de l’élection présidentielle, la première est l’accès aux soins et la deuxième, la réindustrialisation.
Tribune Le Monde 2 avril 2022 Lien : https://urlz.fr/hSUy
Maires de petites villes, nous sommes horrifiés, comme tous nos concitoyens, par les images venues quotidiennement de l’Ukraine et nous prendrons toute notre part dans nos communes au formidable élan de solidarité en train de se mettre en place. Pour autant, nous n’oublions pas que nous vivons une campagne électorale pour l’élection présidentielle, moment fort de notre vie démocratique.
De sensibilités politiques diverses, il ne nous paraîtrait pas acceptable que, malgré la gravité de la situation internationale, le débat n’ait pas lieu et que chaque candidat ne puisse présenter et confronter ses propositions. Pour notre part, nous avons souhaité apporter notre contribution à cette campagne en publiant un manifeste intitulé « Petites villes, cœur battant des territoires ». Ce n’est pas un slogan. Le quinquennat qui s’achève a en effet vu revenir en force la question des territoires.
Services publics et prix de l’énergie
Ne l’oublions pas, la crise des « gilets jaunes » est partie de la France périphérique et des ronds-points des petites villes. A cette occasion, la question des services publics, celle des fins de mois difficiles et celle du prix de l’énergie se posaient déjà avec force.
Après avoir donné le sentiment de les ignorer au début de son mandat, le président de la République a reconnu le rôle irremplaçable des élus locaux et des maires, tout particulièrement à l’occasion du grand débat national.
Plus récemment, la crise sanitaire et la pandémie de Covid-19 ont brutalement mis en évidence les défaillances de notre système de soins. Nous avons tout à la fois souffert d’une gestion hypercentralisée et d’une logique purement comptable qui privilégie depuis vingt ans les fermetures des services hospitaliers, sans s’attaquer à la désertification médicale.
Nous le remarquions lors de la précédente campagne présidentielle en 2017, le temps du « tout métropole » touche à sa fin. La crise sanitaire a accentué un phénomène que nous pouvions déjà observer, les collectivités à taille humaine retrouvent grâce aux yeux de nos concitoyens. La révolution du numérique, le développement du télétravail, ou le prix du logement dans les métropoles, ont changé la donne : il est désormais possible d’allier qualité de vie et travail dans une petite ville.
Avec des « yeux de vieux »
Certes, il existe une grande diversité de situations, en fonction de l’emploi que l’on exerce, et il y a toujours, pour paraphraser le directeur du département opinion de l’IFOP, Jérôme Fourquet, « une France de l’ombre » qui a subi la désindustrialisation et les restructurations des services publics. Cette France continue à souffrir et doit faire l’objet d’une attention prioritaire.
Après le temps des métropoles, il nous paraît donc nécessaire que les petites villes ne soient pas les oubliées du prochain quinquennat. Des actions fortes devront être menées très rapidement dans quatre grands domaines d’intervention prioritaires.
Le premier concerne la question de l’accès aux soins. C’est la première préoccupation de nos concitoyens. Des mesures fortes et courageuses devront être prises pour enrayer la désertification médicale. L’incitation à l’installation a montré ses limites et elle coûte cher. Il faut désormais envisager des mesures de régulation en fonction de la densité médicale qui permettrait d’atteindre l’objectif d’au moins un médecin pour 1 000 habitants.
De même, la question du vieillissement de la population, particulièrement perceptible dans les petites villes, est devant nous. Il faut désormais apprendre à voir nos villes avec des « yeux de vieux », c’est-à-dire faciliter la vie de nos aînés, promouvoir le maintien à domicile, adapter les logements au vieillissement et lutter contre l’isolement en privilégiant l’habitat inclusif.
Jeunes désorientés
Une deuxième grande priorité sera celle de la réindustrialisation et de la revitalisation de nos territoires. On l’oublie trop souvent, 70 % des emplois industriels se situent dans des communes de moins de 20 000 habitants. Il s’agit d’autant d’opportunités pour tous ces jeunes désorientés, durement éprouvés par les confinements. Cet avenir peut et doit pouvoir se construire dans les petites villes, en rapprochant la carte des formations avec celle de l’emploi.
Pourquoi, à cet égard, ne pas développer dans nos territoires des antennes locales du Conservatoire national des arts et métiers ? Il nous faut de surcroît continuer à renforcer l’attractivité de nos petites villes dans le cadre du programme Petites Villes de demain. Ce programme devra en outre permettre de relancer vigoureusement l’offre de logements, en contribuant à la rénovation des centres anciens, là où existent encore trop de logements insalubres et, en périphérie, là où il y a encore du foncier disponible.
Le troisième défi est, bien sûr, celui de la réussite de la transition écologique. Les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat sont à cet égard alarmants, tandis que les prix de l’énergie flambent.
Rien ne se fera dans ce domaine sans les collectivités territoriales, qui ont un rôle majeur à jouer dans la mise en œuvre de la rénovation thermique des bâtiments et dans le développement des énergies renouvelables. La création d’une dotation verte allouée aux collectivités serait à nos yeux un puissant levier incitatif et marquerait la volonté de l’Etat de territorialiser les politiques environnementales.
Visibilité et moyens
Enfin, et ce sera notre dernier point, il faut que l’Etat fasse confiance aux collectivités territoriales, en leur donnant de la visibilité et des moyens pour relever les défis évoqués plus haut. Il faut en finir avec cet extraordinaire degré de méfiance envers la gestion locale qui prévaut dans la haute administration – celle des finances tout particulièrement.
Nous attendons du prochain quinquennat qu’il soit mis fin à la remise en cause de l’autonomie financière des collectivités ainsi qu’à l’encadrement de la dépense locale par l’Etat. La perspective d’une nouvelle baisse des impôts à l’efficacité économique contestée serait pour nous inacceptable. Nos collectivités entendent être considérées comme des partenaires majeurs et responsables.
Nous le savons pertinemment, la résorption de la fracture sanitaire, les conséquences du vieillissement de la population, ainsi que la mise en œuvre de la transition écologique vont engendrer de nouvelles dépenses considérables. Elles ne pourront être équitablement partagées que si l’Etat et les collectivités territoriales inscrivent leur action dans un nouveau pacte de confiance pour faire face aux grands défis de demain. Nous souhaitons que les candidats à l’élection présidentielle n’occultent pas ces questions et n’oublient pas les territoires, tous les territoires.
Liste des signataires : Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France (APVF), maire PS de Barentin (Seine-Maritime) ; Antoine Homé, premier vice-président de l’APVF, maire PS de Wittenheim (Haut-Rhin) ; Charlotte Blandiot-Faride, maire PCF de Mitry-Mory (Seine-et-Marne) ; Romain Colas, maire PS de Boussy-Saint-Antoine (Essonne) ; Anne Gallo, maire DVG de Saint-Avé (Morbihan) ; Harold Huwart, maire Parti radical de Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) ; Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux (Hauts-de-Seine) ; Nathalie Nieson, maire DVG de Bourg-de-Péage (Drôme) ; Pierre-Alain Roiron, maire PS de Langeais (Indre-et-Loire) ; Igor Semo, maire LR de Saint-Maurice (Val-de-Marne) ; Nicolas Soret, maire PS de Joigny (Yonne), tous vice-présidents de l’APVF