Entretien – « Il faut donner la possibilité aux maires de prendre des responsabilités, de faire des choix et de les assumer »
Maire de Sceaux et vice-président de l’Association des maires de France (AMF), Philippe Laurent aborde l’actualité et les enjeux de sa ville, ainsi que ses attentes vis-à-vis du futur Gouvernement, dans leurs relations avec les élus locaux
Affiches Parisiennes : Quelles sont aujourd’hui les urgences que vous traitez dans votre ville ?
Philippe Laurent : Je suis maire depuis 2001, donc depuis 20 ans, et élu municipal depuis 1977, ce qui me permet d’avoir une bonne connaissance de la ville et de son histoire récente. C’est une ville de 20 000 habitants, ce qui est plutôt petit dans un département comme les Hauts-de-Seine ou l’agglomération parisienne. Aujourd’hui, nous avons deux préoccupations. La première est de maintenir le niveau de service public que l’on rend, essentiellement en matière de famille, en allant de la petite enfance, à l’école en passant par les activités culturelles et sportives. Nous avons des équipements de bon niveau qui sont un sujet relativement important. Nous répondons à 85-90 % des demandes de places de crèche, par exemple. Nous investissons aussi beaucoup dans les écoles, dans nos deux grands lycées qui fonctionnent bien. Parallèlement, les moyens financiers sont de plus en plus réduits, notamment avec la disparition de la taxe d’habitation, qui n’est pas totalement compensée dans une ville comme la nôtre, et la diminution des dotations de l’Etat chaque année. Aujourd’hui, la Ville perçoit 3 millions d’euros de moins de l’Etat que ce qu’on ne percevait en 2014, soit 10 % de recettes supprimées, qu’il a fallu plus ou moins compenser par ailleurs.
Notre seconde préoccupation est de préserver la personnalité de la ville en matière d’aménagement urbain, de qualité de vie, d’environnement, etc. Ce n’est pas facile en raison d’une très forte pression à la densification. Nous n’y sommes pas opposés par principe mais on veut qu’elle soit contrôlée, qu’elle se traduise par une amélioration et non pas par une dégradation de l’environnement urbain, que les quartiers pavillonnaires soient préservés, et que l’on puisse garder la maîtrise de l’avenir de notre ville.
A. – P. : Comment avez-vous compensé ce manque de budget que vous évoquez ?
P. L. : Nous l’avons compensé par un peu d’augmentation fiscale et par un peu d’économies, à moitié. Mais si l’on veut maintenir un niveau de service, on ne peut pas faire beaucoup d’économies parce que le fonctionnement d’une ville, contrairement à d’autres structures, repose beaucoup sur sur les personnels qui travaillent auprès de tous les habitants. Si on réduit les effectifs, on touche très rapidement au niveau de service rendu, qui est notre vocation. D’ailleurs, les dépenses de personnel sont les principaux postes de dépenses.
On y ajoute cette année l’augmentation du coût de l’énergie qui pèse sur les finances de la ville. Nous parviendrons à compenser sans augmenter le taux d’imposition du foncier, mais l’année prochaine, je ne sais pas si on le pourra, d’autant plus qu’on annonce de nouvelles baisses de dotations de l’Etat.
A. – P. : Combien de fonctionnaires municipaux compte la ville de Sceaux ?
P. L. : Nous employons 430 agents publics, fonctionnaires et contractuels, plus un certain nombre de vacataires qui travaillent parfois quelques heures par semaine. Ils sont indispensables dans les trois secteurs principaux que sont les écoles, les crèches et les centres de loisirs. Les autres secteurs, comme la voirie ou les services techniques, comptent de plus petits effectifs.
A. – P. : Quelles sont les préoccupations, au niveau national, des membres de l’AMF ? Qu’avez-vous pensé du discours du Président de la République lors du dernier congrès ?
P. L. : Je pense que le président de la République a compris que les maires sont des acteurs importants de la vie nationale parce qu’ils sont en contact direct avec la population et qu’ils perçoivent les évolutions de la société, avec ses difficultés. Ce sont de bons connaisseurs, de bons analystes et de bons acteurs au quotidien auprès de la population. Ira-t-il jusqu’à déléguer un certain nombre de politiques publiques, tant au niveau des communes, des départements voire des régions, je ne suis pas sûr. La loi 3DS vient d’être adoptée après une importante discussion entre l’Assemblée nationale et le Sénat et comporte des éléments intéressants, même si ce n’est pas le texte décentralisateur qu’on souhaitait. L’AMF a toujours les mêmes préoccupations. Financières d’abord, c’est-à-dire un partage équilibré des ressources publiques entre l’Etat et les différentes collectivités territoriales. L’autre sujet, c’est l’identité des communes par rapport aux intercommunalités, notamment depuis la loi NOTRe. D’ailleurs, la loi 3DS contient un certain nombre de mesures d’assouplissements qui ont été souhaitées par les élus, donc c’est une bonne chose. Il y a d’autres sujets qui nous préoccupent, comme dans l’aménagement, avec les zones « zéro artificialisation nette des sols » ou encore dans la fonction publique territoriale, dont le recrutement d’agents se complexifie, à la fois parce que les métiers ne sont pas assez connus et parce qu’ils ne sont pas toujours bien payés.
Enfin, depuis les élections au sein de l’AMF, nous travaillons, avec le nouveau président, à ce que l’association soit pertinente dans l’audition des candidats à la présidentielle, à laquelle nous allons procéder le 15 mars prochain. Les grands sujets sont de savoir quel sera le rôle des maires demain, quelle confiance le prochain président et le prochain gouvernement leurs accorderont, auront-ils la volonté de déléguer de manière importante des compétences aux communes, etc. La confiance à accorder aux acteurs locaux est d’ailleurs un sujet crucial, comme la diffusion des responsabilités. On ne peut pas continuer à avoir des responsabilités aussi concentrées. Il faut donner la possibilité aux élus, comme les maires, de prendre des responsabilités, de faire des choix et de les assumer. On ne peut pas tout demander au niveau national et, sur ce point, la culture politique et institutionnelle de notre pays vraiment évoluer.
A. – P. : A ce titre, faudrait-il réformer le système actuel des départements ?
P. L. : On peut concevoir de le modifier, oui, et on a les outils et les mécanismes pour le faire. Il faut laisser libre cours à la volonté des acteurs locaux si c’est ce qu’ils veulent faire et encourager ces modifications.
Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il avait été proposé de créer le conseiller territorial, à fois départemental et régional, pour aboutir à un rapprochement des départements avec la région. Cela a été annulé à l’arrivée de François Hollande. Maintenant que l’on a de plus grandes régions, c’est beaucoup plus difficile à imaginer, parce que cela a renforcé le poids des départements qui répondent au besoin de proximité des habitants comme des entreprises. Ils ont besoin de pouvoir d’adresser à des gens qu’ils connaissent, qu’ils peuvent voir physiquement et qui ont un minimum de responsabilités et de capacité à les aider, à les renseigner. Cette proximité est indispensable partout. Il faut voir comment elle s’exerce et, à mon avis, elle peut s’exercer de manière différente, selon les endroits et selon la culture et l’histoire des territoires.
A. – P. : Au niveau de la région parisienne, et avec le Grand Paris, conserver des petites communes a-t-il encore un sens ? La distinction entre Paris et les villes de petite couronne existe-t-elle encore ?
P. L. : Quand vous discutez avec les gens qui habitent dans les communes de banlieue, vous êtes toujours frappé par la richesse du tissu associatif qui existe, par l’attachement des gens à leur commune parce que c’est là que se déroule leur vie quotidienne. Ils veulent pouvoir s’adresser au maire qui, même s’il n’a pas tous les pouvoirs, peut se faire le porte-parole de sa population. En revanche, les 130 maires de la métropole doivent pouvoir mener des réflexions collectives sur le rééquilibrage est-ouest, sur la lutte contre le réchauffement climatique, sur des initiatives qui peuvent être prises en commun. La métropole a d’ailleurs adopté en janvier son schéma de cohérence territoriale qui fixe un certain nombre de grandes lignes avec lesquelles tous les PLU doivent être compatibles en termes d’aménagement, d’utilisation des espaces, etc. Il y a une volonté partagée de se situer à la fois dans une forme de préservation de l’autonomie de sa commune, et dans une forme de collaboration avec l’ensemble des maires pour qu’ils participent collectivement à l’avenir de la métropole. Des progrès ont été faits sur ce point ces dernières années, même si les résultats ne sont pas toujours visibles immédiatement.
A. – P. : Les candidats à l’élection présidentielle ont besoin de parrainages, qui proviennent des élus, et notamment des maires. Vous avez annoncé ne vouloir en parrainer aucun. Pourquoi ?
P. L. : Je n’ai pas été élu pour cela. A l’heure actuelle, ce parrainage des maires équivaut dans l’opinion publique à un soutien. Quand vous êtes maire, vous avez la volonté de rassembler le plus largement possible la population, avec une majorité qui peut comprendre des membres très divers et qui ne vont pas forcément soutenir ou voter pour le même candidat. Ce n’est pas le travail du maire, qui doit rester dans son rôle de rassemblement. Je pense que ce système n’est plus adapté et si l’on veut garder l’élection du président au suffrage universel, il faut davantage un parrainage citoyen puisque ce sont les citoyens qui votent. D’ailleurs, ce système est possible à notre époque, notamment grâce au répertoire électoral unique, qui donne à chaque électeur un numéro national unique, géré non plus par les communes, mais au niveau national. Avec un système comme celui-là, on est donc parfaitement capable de faire en sorte que des gens sur Internet puissent exprimer simplement un parrainage. Il est urgent de changer ce système et je soutiendrai la réforme si elle est proposée.
A. – P. : Vous êtes donc pour une évolution de la Constitution. Des modifications constitutionnelles qui peuvent poser quelques difficultés pratiques de mise en œuvre ?
P. L. : Un candidat pourrait très bien dire, et c’est le cas de Jean-Luc Mélenchon d’ailleurs, que les institutions ne sont plus adaptées, qu’il faut une constituante ou, en tout cas, une réflexion de fond sur l’évolution de nos institutions. Nous avons aujourd’hui un pouvoir qui est extrêmement vertical, avec une société qui aspire à de l’horizontalité, à de la participation et à la diffusion des responsabilités. Et je pense que c’est l’une des raisons de la désaffection de la population pour les élections nationales.
A. – P. : Soutiendrez-vous donc le candidat à la présidentielle qui s’engagera à mener ces réformes institutionnelles ?
P. L. : Pour l’instant, à part Jean-Luc Mélenchon, je n’en ai pas vu de propositions en ce sens, et c’est bien dommage. Concernant le soutien à un candidat, je suis membre de l’UDI, qui apporté son soutien à Valérie Pécresse, et j’ai voté pour ce soutien. Je fais par ailleurs partie de la majorité régionale en Ile-de-France, et je connais sa détermination et ses capacités à « faire ». Je soutiens donc sa candidature.
Entretien à retrouver sur Affiches parisiennes.