Philippe Laurent : à contre-courant
Président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, maire de Sceaux, dans les Hauts-de-Seine, Philippe Laurent est un fin connaisseur de la fonction publique et joue une petite musique dissonante à droite à l’approche de la présidentielle.
En ces temps de pré-campagne où la fonction publique est fortement pointée du doigt, s’il en est un à droite qui défendra les fonctionnaires, ce sera lui. Président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) depuis 2011, Philippe Laurent, élu local estampillé UDI au centre et à droite doit beaucoup à la fonction publique et le revendique. « lssu d‘un milieu relativement modeste, dit-il, j’ai fait l‘école de la République, j’ai passé des concours, j’ai pris l’ascenseur social et je considère en grande partie que c‘est grâce au modèle français et à son service public. ». Cet ex soutien d’Alain Juppé pour la primaire de la droite et du centre a bien du mal a digérer les propositions de François Fillon - sorti vainqueur de l’élection – pour la fonction publique – réduction des effectifs dans la fonction publique avec 500 000 suppressions de postes. «Moi, je trouve que le modèle français [du service public, ndlr] a plutôt bien vécu, il est juste abimé à cause de certaines déclarations qui sont faites et de ce dénigrement permanent des fonctionnaires. » La quantification ? « Une mauvaise question ! », balaye t-il. La vraie question pour Philippe Laurent, c’est celle du périmètre du service public et du degré de mutualisation des risques. «II faut le dire clairement si on pense qu‘il y a trop de services publics, qu‘ils interviennent trop ou encore que le degré de mutualisation des risques est trop élevé. »
Pour l’heure, le patron du CSFPT ne se retrouve pas vraiment dans le programme de l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy. Face au désarnour du grand public pour les fonctionnaires, là aussi le maire de Sceaux y va de son analyse. «Le grand public lorsqu’on lui parle d’éléments concrets, il est très attaché au service public. Quand on dit le mot « fonctionnaire« , ça ne marche pas, mais si on lui parle de policiers, d’infirmières etc…, ça marche mieux. Le mot « fonctionnaire » a acquis une connotation péjorative regrettable.»
Réarmer le service public, reformer le management
Discours politiques, incarnation de la fonction … Philippe Laurent voit plusieurs causes au fossé qui se creuse entre ceux qui font le service public et ceux qui en bénéficient, Dans sa liste de présumés coupables, on retrouve les hauts fonctionnaires. D’ailleurs, il le confie sans détour: «J‘ai plus de tendresse pour les agents de terrain que pour les hauts fonctionnaires. C’est chez eux que réside la quintessence du service public.». Les hauts fonctionnaires, eux, «ont un peu perdu le sens de leur mission profonde et ce pour quoi ils ont été formés ». Alors comment réconcilier tout ce petit monde? « Il faut réarmer le service public ! II faut que les Français se le réapproprient. C‘était le cas il y a trente ans. II faut qu‘ils se disent que c’est une richesse collective et non pas seulement un coût.» Pour cela, le politique ne peut pas être négatif vis-à-vis du service public. « C’est a travers le service public que le politique, l‘élu, peut conduire une évolution de la société », juge le maire de Sceaux.
Du prochain président de la République, Philippe Laurent n’attend pas trop. Mais pour lui, «il faut revoir le management dans la fonction publique ». Depuis la réforme des 35 heures et leur mise en application à l’aube des années 2000, son constat est amer: «La seule réorganisation qu‘il y a eu dans la fonction publique est liée à la baisse des moyens, elle est négative. Et le management n’est pas à la hauteur.» Mieux former les managers. Pour le patron du CSFPT, il y a urgence a agir. «II faut redonner du souffle et de l‘attractivité au service public. Sinon plus personne ne voudra y travailler... » Et lui ? Rêva t-il d’y travailler ? Pas vraiment.
Sceaux, sa terre d’ancrage
Enfant, Philippe Laurent était a mille lieues de la fonction publique. « Petit, je voulais être agriculteur, je voulais travailler la terre. » Dans sa famille maternelle, ii y a des arboriculteurs dans le Sud de la France, qui produisent des kiwis … Mais lorsqu’il était au lycée, son père, qui travaillait dans une usine, voulait le voir devenir ingénieur. Maths sup, maths spé … Ce natif du Nord rejoint finalement Paris. D’abord l’Ecole centrale puis SciencesPo option économie et finances, c’est là que Philippe Laurent a le déclic pour la politique. « A SciencesPo, je suis tombé sur des gens qui savaient parler en public, qui avaient de l‘aisance», se souvient-il. C’est aussi a ce moment là que l’étudiant provincial rencontre pour la première fois le maire de Sceaux, alors Erwin Guldner. L’édile lui propose de figurer sur sa liste pour les municipales de 1977. L’élu a besoin d’un jeune, Philippe Laurent sera son homme.
Dernier sur la liste, il se voit élu conseiller municipal. A Sceaux, il mène sa carrière d’élu local. D’abord conseiller municipal, puis adjoint aux finances a partir de 1983, il demande ensuite la culture. « Je n’y connaissais rien mais je voulais sortir des chiffres et des finances.» Parallèlement, il mène une carrière dans le privé de consultant pour des collectivités territoriales. En 2001, c’est le fauteuil de maire qu’il brigue et qu’il remporte. En 2008, les choses se corsent. « J‘ai été réélu contre une liste de gauche et contre une liste de droite à la mairie, je n’étais soutenu par personne. Un de mes anciens adjoints avait été investi par !‘UMP parce que j’avais soutenu François Bayrou et pas Nicolas Sarkozy en 2007. » Reélu encore en 2014, Philippe Laurent est le vrai patron à Sceaux. Son seul regret est de n’avoir pas pris plus de risques en politique. A 62 ans, ii se dit qu’il aurait peut-être dû se présenter aux législatives : « J‘ai préféré mener ma barque dans ma ville, à Sceaux et à travers les associations d‘élus », décrypte t-il en ajoutant, comme pour se rassurer: « Mais j’aime assez mon image aujourd‘hui. »
Elu grâce aux syndicats
Multi casquettes, Philippe Laurent n’a pourtant jamais travaillé en cabinet ministériel. Aucun regret ? «Non.» Amusé, il se souvient qu’en 1981, à 27 ans, alors qu’il ne faisait de la politique « que quelques heures par semaine», on le sollicite pour rejoindre une formation : Cap86. II s’agit alors de former tous les samedis matins des futurs membres de cabinets, en prévision de l’alternance de 1986. «On était une vingtaine et quand les cabinets ministériels ont été formés en 1986 après les élections législatives, il n’y en a qu’un qui est entré en cabinet. Parce que les cabinets, ce sont surtout des hauts fonctionnaires… » Et si François Fillon était élu à la présidence de la République ? Se verrait il ministre de la Fonction publique? Pas d’hésitation : « Si c‘est pour être le ministre qui va supprimer 500 000 postes de fonctionnaires en cinq ans, c‘est non. Mais s’il s’agit de redonner plus de sens au travail des fonctionnaires et de réarmer le service public, pourquoi pas? ».
Pragmatique, Philippe Laurent sait jusqu’où il peut aller dans la critique de son camp. Dissonant oui, mais jusqu’à un certain point. De fait, il a su, ces dernières années, faire preuve d’adresse politique. « Je me suis construit en siégeant pendant quinze ans au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) et puis en étant élu président.». Ce n’était pas écrit. « J’ai été élu contre toute attente. On m’avait dit « t‘as aucune chance« . C’est grâce aux syndicats, qui se sont abstenus. Aucun n‘a voté contre moi, ni pour ma concurrente [la socialiste Françoise Descamps Crosnier, ndlr]. » En 2015, il est réélu a l’unanimité. «On a beaucoup travaillé avec les syndicalistes ... ce sont des gens intelligents et compétents. If faut faire passer ce message là à un certain nombre de politiques de droite, parce que ce n’est pas évident pour eux » Chantre du service public et du dialogue avec les syndicats, l’élu de droite joue l’apaisement. Pas sur que cela suffise.
Wassinia Zirar