Traité transatlantique : les inquiétudes demeurent
En dépit des promesses formulées par les négociateurs du Tafta ou du Tisa sur la protection des services publics, les collectivités territoriales ne doivent pas baisser la garde. Le développement du libre-échange ne doit aucunement se réaliser au détriment de l’intérêt public ni du principe d’autonomie locale. On trouvera ci-après mon entretien, donné au titre de président délégué de l’Association française du Conseil des communes et régions d’Europe (AFCCRE), et publié sur le site de la Gazette des communes le 25 avril 2016.
Faut-il croire les promesses de la Commission européenne, qui répète vouloir protéger les services publics de toute tentative de libéralisation ?
Nous avons bien entendu les négociateurs rappeler que le TAFTA mais aussi le TISA – l’accord général sur le commerce des services, dont on parle beaucoup moins – n’empêcheront pas les administrations de fournir ou d’encourager la fourniture de services publics dans des domaines tels que l’approvisionnement en eau, l’éducation, les soins de santé et les services sociaux. Ni dans de nouveaux services, d’ailleurs, pas plus qu’ils n’obligeront à privatiser certaines activités.
Nous demeurons néanmoins vigilants sur le périmètre des services publics véritablement concernés par ces promesses et ces potentiels accords ! Car il existe encore, à nos yeux, un important enjeu lié à la clarification des activités incluses ou exclues des discussions entre l’Union européenne et les Etats-Unis.
A ce stade, sur la base du mandat de négociation de la Commission européenne, il nous semble que seuls ceux « fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental » (définition de l’Organisation mondiale du commerce), c’est-à-dire « qui ne sont fournis ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec d’autres fournisseurs » pour reprendre les termes de l’ACGS, sont exclus des actuelles négociations, de façon suffisamment explicite du moins. Autrement dit : il s’agit en réalité d’une part relativement mince des services publics qui est actuellement protégée, correspondant peu ou prou aux services d’intérêt général non économique (à savoir les services essentiellement régaliens que sont les services dans les secteurs de la justice, de la défense, de la police, etc…).
Quel impact cette définition restreinte retenue par la Commission européenne aura-t-elle sur les « services publics à la française » ?
Il faut bien comprendre qu’une très large palette des services assurés par les collectivités territoriales – en gestion directe ou déléguée – ne répondent pas à cette définition des services d’intérêt général non économique (SIEG). Ils sont donc potentiellement couverts par de tels accords, si tant est que ces discussions débouchent sur un partenariat à l’avenir. D’où notre souhait de procéder, dès aujourd’hui, à une exclusion globale des services d’intérêt général (SIG) et des SIEG, comme le Parlement européen a pu le formuler dans ses résolutions sur le TAFTA et le TISA.
Nous réaffirmons que les autorités publiques nationales et locales doivent pouvoir organiser les services publics, les financer et les mettre en œuvre librement. C’est ni plus ni moins, d’ailleurs, que ce que prévoient les dispositions du fameux protocole 26 de l’article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
N’est-ce pas excessif, alors que l’Union européenne comme ses Etats-membres vous expliquent qu’il suffit de lister les activités à exclure de ce type d’accords pour protéger tous les services publics … ?
Les parties à la négociation sont effectivement en capacité de formuler des exclusions ou encore de maintenir certaines exigences. C’est ce qui semble, a priori, selon leurs dires, avoir été fait pour les services audiovisuels et cinématographiques, de santé, de distribution, de gestion, de collecte de l’eau ou encore ceux d’éducation financés sur fonds publics. Des éléments intéressants figurent sur ce point dans le texte de l’accord avec le Canada (CETA), qui constituera à n’en pas douter un précédent.
On voit par exemple que l’Union européenne se réserver la possibilité d’adopter toutes mesures et règlementations dans le secteur des services d’accès à l’eau et de traitement, dans le domaine des professions règlementées comme les notaires, les huissiers, les pharmaciens. La France formule des réserves dans le secteur des services sociaux financés sur fonds privés, autres que les maisons de retraite, des services de transports urbains, des laboratoires privés d’analyses. L’Allemagne a, pour sa part, émis des réserves en matière de gestion des déchets, gestion des sols, des services sociaux et de santé financés par des fonds privés ou ne répondant pas à la définition des services fournis « dans l’exercice du pouvoir gouvernemental », des services culturels, de loisirs, des services funéraires. Cependant, l’approche par liste négative impose de lister l’ensemble des services visés et de préciser le type de réserves formulées.
Cette méthodologie rend naturellement la compréhension des négociations et de leurs impacts réels pour les services publics locaux assez difficile. Elle participe, sans doute, des craintes qui peuvent s’exprimer dans les territoires au sujet de ces négociations transatlantiques.
Dès lors, y-a-t-il vraiment lieu de s’inquiéter pour l’autonomie des collectivités territoriales, et notamment leur droit à réguler dans l’intérêt public ?
C’est malheureusement plus compliqué. Plusieurs questions se posent encore quant aux conséquences de l’obligation pour les Etats, dans les secteurs couverts par l’accord, d’assurer un traitement équivalent à l’ensemble des prestataires (clause du traitement national). Des dérogations à cette obligation sont néanmoins possibles et doivent être énumérées, également sous forme de liste négative.
A l’instar d’un rapport rédigé par des opposants au libre-échange, vous inquiétez-vous de l’incidence de clauses juridiques verrouillant la libéralisation de certains services ?
La clause « statut quo » (standstill) – figeant le niveau de libéralisation d’un secteur, une fois pour toute – et la clause « cliquet » (ratchet) – permettant de bénéficier de toutes les mesures plus libérales qu’un Etat pourrait adopter ultérieurement – posent effectivement de nombreuses questions. Elles remettent en cause la capacité pour les autorités publiques – nationales comme locales – de modifier, dans le temps, les modalités de mise en œuvre d’un service public concerné par un de ces accords politico-commerciaux.
Concrètement, en ce qui nous concerne ici, de telles clauses sont susceptibles de gêner une collectivité territoriale envisageant le retour à une gestion purement publique, en régie, d’un service dont la gestion avait été confiée par le passé à un opérateur privé dans le cadre d’un marché public ou d’une délégation de service public. La capacité des exécutifs locaux à maintenir des monopoles publics locaux serait également remise en question.
Encore une fois, je le répète : aux yeux de l’AFCCRE, comme d’ailleurs de l’Association des maires de France, il est impératif d’assurer le respect des principes d’autonomie des autorités locales et de liberté d’organisation dans la mise en œuvre des services publics dont elles assurent le déploiement au quotidien.
En matière d’accès des entreprises européennes aux marchés publics, la Commission européenne cherche à bénéficier d’une plus grande réciprocité de la part des Etats-Unis. Est-ce sans conséquence pour les collectivités territoriales, ici, en Europe ?
Alors que les marchés publics européens sont largement ouverts aux entreprises non européennes, c’est loin d’être le cas chez nos partenaires commerciaux. De l’autre côté de l’Atlantique, leurs entreprises bénéficient encore de plusieurs mécanismes protecteurs. La question se révèle donc fondamentale. Il s’agit, pour l’Europe, d’obtenir une réelle réciprocité dans l’accès aux marchés publics américains, à l’échelon fédéral, fédéré et local.
En parallèle, Cecilia Malmström doit assurer le maintien des dispositions contenus dans les directives européennes en matière de marchés publics et de concessions adoptés en 2014 : clauses sociales, environnementales, exclusion des coopérations entre entités publiques, etc. Dans le cas contraire, si la commissaire européenne n’obtenait pas gain de cause auprès des Etats-Unis, nous devrions pouvoir, à notre tour, restreindre l’accès des entreprises extra-communautaires à nos propres procédures de marchés publics, qu’il s’agisse d’un équivalent au Small Business Act ou au Buy American Act.
A l’heure où les discussions semblent s’accélérer, quelles sont les lignes rouges que vous fixeriez aujourd’hui aux négociateurs ?
Les objectifs et les différents enjeux autour de la réciprocité de l’accès aux marchés publics, du périmètre des services publics réellement concernés, ainsi que les autres points évoqués dans notre position, restent aujourd’hui encore pleinement d’actualité. Ces points de vigilance sont, par ailleurs, largement partagés par le Parlement européen, le Comité des Régions, le Sénat français par deux fois, le Conseil économique, social et environnemental, etc.
Nous souhaitons également que cette nouvelle génération de traités commerciaux soit qualifiés d’accords mixtes. Par conséquent, ils devraient impérativement faire l’objet d’un débat et, le cas échéant, être adoptés par les Parlement européen et nationaux. Les autorités françaises sont sur cette position, comme je crois d’autres Etats. C’est un enjeu démocratique important.