[Acteurs Publics] Les maires, dernières vigies de la République ?

La campagne actuelle des législatives se déroule dans un climat politique particulièrement tendu et chargé, où la question des services publics émerge comme un enjeu central. Les débats sur l’avenir de ces services essentiels touchent des sujets aussi variés que l’éducation, la santé, les transports ou encore la sécurité. Ces thèmes, chers aux Français, constituent un terrain de bataille idéologique où s’affrontent des visions parfois radicalement opposées.

La notion de « service public » revêt, dans la culture nationale de la France, une importance particulière, bien davantage que dans beaucoup d’autres pays. Le choix fondamental effectué à la Libération, à partir du projet développé par le Conseil national de la Résistance composé de toutes les forces politiques du moment, a été de faire assurer la majorité des fonctions collectives de la société par le service public, financé par l’impôt et par des cotisations obligatoires, et exercé par des agents publics disposant d’un statut leur conférant droits et devoirs. Ce choix très particulier de la France rend d’ailleurs non pertinentes la plupart des comparaisons sur la dépense publique et les prélèvements obligatoires avec ceux des autres pays, car ne reposant pas sur une même organisation de la nation.

Or, contrairement à ce que pense – et parfois affirme – la classe politique dirigeante et ses conseillers, les Français restent très attachés au service public, dont ils attendent qu’il assure une équité d’accessibilité et une universalité de prise en charge, et qu’il constitue véritablement un ciment de la nation et de la société françaises. A regarder l’histoire contemporaine, on constate que l’effondrement politique et moral de la IIIème République, à la veille de la Seconde guerre mondiale, doit beaucoup à l’affaiblissement des services publics d’alors, dans de nombreux domaines, et ce malgré les tentatives – malheureusement trop tardives – du Front populaire d’alors d’en restaurer l’esprit et les valeurs.

C’est exactement ce qui se passe en France depuis quelques années, ou du moins, c’est ainsi que le ressentent à juste titre de nombreux Français : quasi disparition des services publics dans de nombreux territoires (et paradoxalement, le succès des maisons France Service largement portées par les communes confirme le besoin de la présence partout de service public), difficulté de l’école, tension sur la santé, appauvrissement des moyens, découragement des agents publics et perte d’attractivité des métiers de la fonction publique, impersonnalité du numérique pourtant mis à toutes les sauces, discours politiques dégradants à l’encontre des fonctionnaires …

Ce qui est relativement récent et dangereux, c’est que le Rassemblement National (RN) l’a compris et parfaitement intégré. Il se positionne comme un acteur majeur et se veut rassurant et prometteur : il s’engage à renforcer les services publics, à augmenter les effectifs dans la police et la gendarmerie, à réinvestir dans les hôpitaux et à garantir une meilleure répartition des moyens dans les écoles. Ses dirigeants promettent régulièrement de « restaurer l’État-providence » en luttant contre le « désengagement de l’État ».

Pour autant, il apparaît qu’il s’agit surtout d’un discours, et que l’avènement du RN au pouvoir pourrait entraîner des changements significatifs pour la fonction publique. Si certaines mesures, comme l’augmentation des effectifs dans la police, pourraient être bien accueillies par les agents concernés, d’autres aspects du programme suscitent de très fortes inquiétudes.

La remise en cause des statuts, la flexibilisation des emplois, le conditionnement à certains services publics à la nationalité pourraient recréer des inégalités et des graves tensions. Les propositions  – ou plutôt le flou des propositions – est très inquiétant. La faisabilité financière de ces promesses reste à démontrer. Les augmentations budgétaires envisagées nécessiteraient des ressources considérables, dont le financement n’est pas clairement détaillé. En outre, la politique trop restrictive en matière d’immigration et les conditions d’accès aux services publics pourraient nuire à la cohésion sociale et accentuer les discriminations.

Si le RN propose des solutions qui séduisent par leur apparente simplicité et leur promesse de renouveau, elles comportent des risques non négligeables. Les Français, en tant qu’usagers et bénéficiaires des services publics, doivent rester attentifs aux conséquences potentielles des réformes annoncées. Les inquiétudes exprimées par les organisations syndicales ne doivent pas être prises à la légère, car elles touchent au cœur même de notre modèle républicain et de la solidarité nationale.

Dans ce contexte incertain et confus, le rôle des maires émerge comme un élément crucial, faisant d’eux les acteurs clés de notre pays dans la préservation de la stabilité et de la cohésion sociale. Les maires, grâce à leur proximité avec les citoyens, leur présence du quotidien, leur connaissance fine du territoire, leur expertise des questions de relations sociales, leur ouverture au dialogue social, sont un rempart fiable contre les dérives populistes et extrémistes d’où qu’elles viennent. Ils incarnent une stabilité rassurante et un engagement authentique, fondé sur une connaissance intime des réalités locales : famille, culture, éducation, santé, logement, et bien plus encore. Ce lien direct avec la population leur confère une légitimité et une responsabilité uniques, bien souvent absentes dans les discours plus éloignés et généralisants des campagnes électorales nationales.

En cette période de tensions sociales de plus en plus vives et pouvant devenir explosives et violentes, nous sommes, nous les maires, les premiers à intervenir pour apaiser les situations et trouver des solutions concrètes. Cette proximité et cette capacité à agir de manière pragmatique, en sachant écouter, mais aussi décider, sont des atouts majeurs dans la lutte contre les discours extrémistes, qui prospèrent souvent sur le terreau de l’abstraction et de la démagogie.

Nous l’avons maintes fois prouvé, les élus locaux sont des vecteurs de résilience face aux crises. Qu’il s’agisse de la gestion de la pandémie de la covid, des défis environnementaux ou des tensions économiques et sociales, nous avons démontré notre capacité à agir de manière rapide et efficace. Notre présence sur le terrain et notre engagement envers le bien commun contrastent avec les promesses vagues et démagogiques des extrêmes.

En défendant les valeurs de la République et en garantissant le maintien du service public universel et accessible à tous, nous incarnons l’espoir d’une démocratie vivante et résiliente, ouverte au dialogue social et capable de surmonter les défis de notre époque  … et il y en a beaucoup ! Aux prochains députés, au prochain gouvernement, qui, quels qu’ils soient, devront faire face à une situation très difficile, je dis : « Faites confiance aux maires de France ! »

Tribune de Philippe LAURENT parue sur le site de Acteurs Publics