La confiance ou la loi ?
Parmi les dossiers de rentrée qui attendent le gouvernement et le pays tout entier, il en est un qui reste peu souvent cité : comment affronter, mais surtout apaiser, la colère et le désarroi des maires qui s’exprimeront avec force le 19 septembre prochain à travers la France entière ?
Depuis une demi-dizaine d’années, le pouvoir central commet une erreur constante : il néglige ce qu’il est convenu d’appeler les « pouvoirs intermédiaires ». Elus locaux, organismes consulaires, organisations syndicales et patronales, mouvement associatif : cet ensemble d’organisations très diverses, souvent structurées depuis fort longtemps, qui rassemble les forces vives de la nation, sont considérées comme des freins plutôt que comme des partenaires sur lesquels s’appuyer. Notons que le terme de « pouvoirs intermédiaires » communément utilisé est en lui-même un aveu d’une organisation institutionnelle bien typée : il sous-entend en effet qu’il y a d’un côté « le » pouvoir dans sa plénitude, qui ne peut être exercé que par l’appareil d’Etat, et de l’autre des pouvoirs éclatés et dont la légitimité est en quelque sorte inférieure en intensité.
Prenons le cas des élus locaux – et notamment de ceux qui ne cumulent pas fonction exécutive locale et mandat parlementaire. Ils sont élus au suffrage universel direct des électeurs inscrits dans leur territoire. Ils disposent donc d’une légitimité démocratique évidente. Ils ont donc toute légitimité à intervenir – et pourquoi pas à décider – au plus haut niveau sur les sujets qui les concernent, c’est-à-dire à peu près sur l’ensemble du spectre de la décision et de l’action publiques aujourd’hui. Or, ce n’est que très incomplètement le cas aujourd’hui.
Plutôt que de vouer régulièrement aux gémonies les élus locaux et leur gestion – qui n’a vraiment rien à envier à celle de l’Etat – et de leur faire subir de multiples avanies en diminuant aveuglément leurs moyens et en les surchargeant de règlementations nouvelles, le pouvoir central obtiendrait de bien meilleurs résultats en les considérant comme de véritables partenaires, capables aussi bien d’entendre les critiques que de formuler des propositions. Cela suppose des instances de vrai dialogue, un peu de bonne volonté de part et d’autre – elle existe chez les élus locaux, très conscients de l’état du pays et des enjeux locaux et nationaux, et passionnés de leur mandat -, mais surtout que se déclenche ce qu’Alain Juppé appelle (dans le JDD du 23 août 2015) « cette petite alchimie mystérieuse qui s’appelle la confiance ».
Car le drame est là : le pouvoir central, en France, ne fait confiance à personne et croit encore pouvoir tout résoudre par lui-même, à coups de lois et de règles. Un exemple ? Après la polémique savamment entretenue (et finalement au profit de qui ?) autour de ce qu’on nomme affreusement « repas de substitution » (aux repas avec porc) dans les restaurants scolaires, voici que des parlementaires et des hauts fonctionnaires imaginent régler cette affaire par la loi, en obligeant toutes les mairies à prévoir des repas sans porc, ou végétariens, etc. Une loi pour une organisation qui devrait relever du vivre ensemble local, dans le respect intelligent du principe de laïcité naturellement, mais qui laisse chaque maire et à son équipe de régler la question dans la paix sociale locale. Nous le voyons bien dans chaque séance du Comité national d’évaluation des normes : la frénésie législative et règlementaire ne faiblit pas. Quel dommage, et quel gâchis, et pour quel résultat ?
Passons enfin d’une société de droits imposés à une société de droits négociés : la confiance et le contrat doivent devenir la généralité, et la loi doit rester l’exception. C’est aussi ce que diront les maires le 19 septembre prochain.