Quand les collectivités locales financent la baisse de l’impôt sur le revenu …
Les maires ont un sens aigü de leurs responsabilités. Lorsque l’Etat, dans le cadre de ses compétences régaliennes et à l’occasion d’un dossier qui touche à l’essence même de notre nation, à savoir l’accueil des réfugiés d’Orient, leur demande leur collaboration, ils répondent « présent » pour une très large majorité d’entre eux.
Mais cette collaboration, en une circonstance très particulière, ne doit naturellement pas faire passer au second plan ce qui constitue une grave rupture aux yeux des maires : l’idée hautement républicaine que la notion d’intérêt général pouvait et devait être partagée entre l’Etat et les pouvoirs locaux est en train de voler en éclat. La volonté réaffirmée du gouvernement de priver les collectivités locales – et les communes en particulier – de financements qui leur sont dus et nécessaires pour accomplir leurs missions d’intérêt général auprès des habitants et des acteurs économiques détruit le lien de confiance indispensable à un bon fonctionnement des pouvoirs publics. Cette situation crée un danger considérable, en réduisant considérablement les acquis de trente années de décentralisation et en installant au niveau central un pouvoir de plus en plus absolu, qui plus est déséquilibré par un effacement progressif du Parlement.
Mobilisation des citoyens
C’est aussi pour avertir l’opinion de cette dérive préoccupante, tout comme éclairer ses conséquences sur la vie quotidienne des Français, que l’Association des maires de France a pris l’initiative d’une journée nationale de mobilisation, samedi 19 septembre prochain. Chaque commune conduira les actions qui lui semblent les plus opportunes sur son territoire. Un point commun : l’appel « pour soutenir les communes et les services publics locaux » qu’il revient à chaque citoyen de soutenir et de signer, en cliquant ici.
Ce prélèvement inique et absurde va contribuer, qui plus est, à « plomber » davantage la croissance, qui n’en avait certainement pas besoin : on prévoit ainsi – et toutes les sources concordent – un effondrement des investissements publics locaux, déjà bien amorcé en 2014, de l’ordre de 25 à 30% en 2017. Ce sont 60 000 emplois menacés et près d’un point de croissance qui sont en cause, sans compter la perte d’attractivité de nos territoires qui verront se dégrader leurs infrastructures.
On nous dit : « Il faut que chacun prenne sa part de l’effort de redressement des finances publiques ». Sans doute. Mais les collectivités locales ne sont pas des acteurs économiques banals. Elles ne s’enrichissent ou ne s’appauvrissent pas pour elles-mêmes, mais pour les acteurs de leur territoire. Lorsqu’il leur est demandé de « se serrer la ceinture », c’est en réalité aux habitants qu’on demande de le faire, en leur imposant moins de services publics. Cette confusion est grave : en creux, elle remet en question la légitimité politique d’élus locaux désignés au suffrage universel, et nie leur participation à la définition et à la gestion de l’intérêt général. La relation financière entre l’Etat et les collectivités locales doit être construite sur la parole donnée d’une part – et celle de l’Etat devrait être exemplaire -, sur la recherche de la meilleure efficacité de la dépense publique d’autre part – et, à cette aune, la qualité de la gestion publique locale n’a rien à envier à celle de l’administration centrale -, et sur la notion de partenariat enfin. Du reste, les pays qui obtiennent les meilleurs résultats en terme de croissance sont sur le long terme les pays les plus décentralisés, et où la confiance est le maître mot. Nous en sommes malheureusement de plus en plus loin en France.
Coup politique et incohérence croissante
Car il y a pire encore dans la situation que nous vivons. Alors que l’Etat confirme des prélèvements mortifères sur les collectivités locales, le gouvernement accorde coup sur coup deux réductions de l’impôt sur le revenu. Coïncidence : les montants en cause sont à peu près du même ordre : la baisse annoncée de l’impôt sur le revenu en 2016, à hauteur de 2 milliards d’euros est égale à la baisse annuelle des transferts financiers vers les communes … Autrement dit, le gouvernement est tout bonnement en train de financer ses cadeaux fiscaux par une diminution des transferts financiers aux collectivités locales … elles qui pensaient « contribuer au redressement des finances publiques » ! Allons plus loin encore : il est pratiquement acquis, malheureusement, que certaines collectivités devront ajuster leur propre prélèvement fiscal, en tout cas pour celles qui le peuvent encore, à savoir pour l’essentiel les communes. Or, les impôts locaux sont unanimement considérés comme obsolètes et injustes, et la révision sans cesse annoncée et retardé des bases – les fameuses « valeurs locatives » – tarde à voir le jour. Autrement dit, le pouvoir central (l’Etat, mais aussi le Parlement qui détient une bien lourde responsabilité en la matière) fait financer une diminution d’un impôt généralement considéré comme juste par une augmentation d’un impôt injuste, et en même temps transfère son impopularité fiscale vers d’autres responsables publics. On peut saluer le « coup » politique et l’habileté tactique. On peut aussi s’inquiéter de l’incohérence croissante de ceux qui nous gouvernent, là-haut …