Philippe Laurent : “La fonction publique territoriale est à la croisée des chemins.”
Publié le 28/10/2025, Intercommunalités de France
Quelles stratégies territoriales avez-vous observées en matière de gestion des ressources humaines au cours du mandat ?
La fonction publique territoriale doit répondre à des défis structurels (vieillissement des effectifs, attractivité en baisse, contraintes budgétaires croissantes) et aux attentes accrues des citoyens en matière de qualité des services publics. Quatre axes ont été au cœur des priorités des employeurs : la formation, la prévention-santé, la maîtrise de la masse salariale et l’attractivité. Sur ce dernier axe, les employeurs territoriaux activent prioritairement l’outil indemnitaire pour attirer et fidéliser. Parallèlement, des démarches de « marque employeur » émergent pour mieux valoriser les métiers, façonner une identité et développer une appartenance. Pour attirer durablement, l’augmentation des salaires est nécessaire. On ne peut se contenter des à-coups du levier indemnitaire. Cela doit passer par un travail de refonte des grilles dont le tassement pénalise en premier lieu les agents de catégorie C et fragilise tout le système de rémunération. Mais les employeurs rappellent que ces enjeux sont subordonnés aux moyens dont disposent les collectivités territoriales. Ce mandat aura également été marqué par l’intensification du dialogue social national, notamment avec la conclusion d’un accord sur la protection sociale complémentaire, marquant une démarche inédite de négociation collective dans le versant territorial. Considéré comme un outil central pour accompagner le changement, le dialogue social se renforce et compense parfois la rigidité des décisions nationales.
25 % des recrutements se font par voie contractuelle. Quelles sont les implications dans les relations avec les employeurs publics et le management des équipes ?
En effet, le recrutement de contractuels, anciennement complémentaire au statut, tend désormais à instaurer une véritable dualité avec le recrutement de fonctionnaires. Si les employeurs reconnaissent l’utilité des contractuels comme levier de souplesse, leur poids croissant pose néanmoins la question de la soutenabilité du modèle statutaire. Le recours accru aux contractuels dans les collectivités territoriales traduit un changement profond : le contrat n’est plus une exception, mais une voie d’accès durable et assumée à la fonction publique. On assiste ainsi à un changement structurel progressif. Or la coexistence de deux systèmes entraîne des complexités nouvelles : mise en place de démarches de recrutement, affaiblissement du système du concours, management plus individualisé, instabilité, différences de traitement en matière de rémunération et de carrière, etc. La contractualisation croissante amène à recomposer le modèle de la fonction publique territoriale : soit elle assume un nouveau système dans le respect de ses principes fondateurs et dans une logique de complémentarité (continuité du service public pour les fonctionnaires, réactivité et compétences spécialisées pour les contractuels), soit elle risque une dualisation accrue (sécurité pour les titulaires, précarité pour les contractuels), au détriment de la cohésion des équipes et de l’attractivité des collectivités.
Faut-il faire évoluer le statut de la fonction publique territoriale ? Si oui, comment ?
Pour les employeurs, il est évident que le statut de la fonction publique territoriale (FPT) doit évoluer, non pas pour le supprimer, mais pour l’adapter aux mutations, aux tensions de recrutement, aux nouvelles attentes sociales, et pour rendre la FPT plus attractive tout en préservant ses grands principes. Si le statut et les concours restent des piliers car ils garantissent l’égal accès aux emplois, ils sont perçus comme peu lisibles et insuffisamment adaptés aux besoins contemporains. Les concours doivent être adaptés au profit d’une plus grande souplesse, d’une professionnalisation des épreuves et d’une meilleure prise en compte des expériences professionnelles. Parallèlement, des voies de titularisation de contractuels pourraient être ouvertes selon des modalités à définir. Par ailleurs, les questions de rémunération et d’indemnisation pèsent sur l’attractivité. Dans ce contexte, réviser la structure indemnitaire et les grilles (surtout les plus basses) est une urgence. Une modulation territoriale pourrait même être envisagée pour corriger des désavantages locaux. Il existe des marges de manœuvres pour faire évoluer le statut sans en dénaturer l’esprit. Cela nécessite de peser dans les négociations, et ne peut se faire sans une gouvernance collective mieux structurée des employeurs territoriaux, clairement identifiée et représentative de leur pluralité et de leur diversité. La mise en place de la Coordination des employeurs territoriaux a été une étape décisive, qu’il faut conforter.
Philippe LAURENT
Maire de Sceaux
Vice-président de l’AMF
Président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale

