Orsenna : « le rêve français rejaillit dans les communes ! »
La première livraison du nouvel hebdomadaire, « Le 1 », parue le 9 avril dernier sous la direction d’Eric Fottorino, pose la question suivante : « La France fait-elle encore rêver ? ». Plusieurs intellectuels, écrivains, philosophes, artistes, y apportent leur réponse.
Parmi ceux-ci, Erik Orsenna.
Je prends la liberté de livrer sa contribution ci-après, convaincu que l’intéressé, comme la toute jeune équipe du « 1 », me pardonneront cet emprunt pour la bonne cause – celle que je défends, bien entendu. Voici ce beau texte.
« Source ». Au commencement est la source. C’est elle qui engendre le rêve. Et si se tarit la source, meurt le rêve. Mais, par nature, les sources sont vagabondes. Elles peuvent décider d’arrêter de couler ici pour resurgir ailleurs. Ainsi le rêve français. Sa source fut l’Etat. Qui s’est installé à Lutèce et ne l’a plus quittée. Cette source-là continue d’attirer toutes les attentions. Et toutes les attentions en même temps que toutes les désillusions. Pauvre administration centrale, plus son pouvoir s’étiole, plus elle se venge en multipliant les règlements. Jamais le débit de cette source n’a été aussi fort. « Je suis quelqu’un qui aime les normes », se plaît à répéter notre ministre verte, Mme Duflot. On voit le résultat : pauvre logement ! Je me souviens de Raymond Barre. Devenu maire de Lyon, il me disait regarder plus souvent vers Turin que vers Paris. Je ne suis pas nostalgique du féodalisme. Je sais la nécessité des nations. Je sais les obligations de solidarité : la France n’est pas une somme de Singapour. Et pourtant … Lorsque, amoureux de votre pays, votre confiance en lui se perd, lorsque le découragement vous prend, quittez la capitale, ses dorures, ses impuissances et ses rodomontades. Allez par les villes. C’est là, dans beaucoup d’entre elles, que rejaillit le rêve français. Vous avez voté. Les équipes sont en place. Bon vent aux communes de France ! Et tant mieux si elles acceptent de se regrouper. Continuons l’allégorie. Pour faire un fleuve, il faut beaucoup d’affluents. Erik Orsenna.
La commune, élément fondateur du « rêve français ». Et qui le reste, elle.
Quelle belle et juste réponse à ceux qui, à longueur de rapports technocratiques et comptables ou de déclarations péremptoires, veulent, sous couvert de sauver le pays de la faillite, la fin des libertés communales, le reniement de la parole donnée par l’Etat (au temps où l’Etat avait encore une parole, il y a bien longtemps), la disparition progressive des services publics locaux pour mieux y substituer des services privés (mais pas pour tous !), la rupture du seul lien de confiance qui existe encore dans le monde politique français, à savoir celui entre le maire et les citoyens ! Et tout ceci dans un seul but, inavoué : préserver la mainmise de l’appareil d’Etat sur le pays, au risque de le rendre définitivement malade, épuisé, invivable. Et pourtant, il est permis de s’interroger : pourquoi l’Etat d’aujourd’hui aurait-il mieux vocation à incarner l’intérêt général que l’ensemble des maires, forts de leur toute récente légitimité dévolue par le suffrage universel ? A d’autres époques, la même mise au pas des maires a abouti à un régime autoritaire. Lorsque reculent les libertés locales, c’est la liberté qui vacille.