« Les entreprises publiques locales sont une opportunité pour intervenir, sans peser directement sur la dette publique » (Philippe Laurent)

La Tribune, publié le 14 octobre 2025

ENTRETIEN. Alors que la crise politique sévit et que les finances publiques se tendent, le président de la fédération des Entreprises publiques locales (FedEpl) Philippe Laurent (maire de Sceaux) évoque les enjeux pour ces structures qui revendiquent de permettre une action de terrain, sans creuser les dépenses de la collectivité.

Le maire de Sceaux, Philippe Laurent, est le président de la Fédération des entreprises publiques locales depuis 2023.
La FedEpl compte aujourd’hui en France 1 442 entreprises publiques locales sous trois statuts : les SEM (Sociétés d’économie mixte associant investissements publics et privés), les SPL (Sociétés publiques locales, aux capitaux 100 % publics) et les SEMOP (Sociétés d’économie mixte à Opération unique, constituées par des acteurs publics et privés pour une seule mission), détenues à 63 % par des collectivités, employant 63 000 salariés et réalisant 13,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Elle tient son congrès annuel à Montpellier, du 14 au 16 octobre. Les explications de Philippe Laurent, président de la FedEpl, maire de Sceaux, vice-président de Métropole du Grand Paris, président de la SEM Sceaux Bourg La Reine Habitat.

LA TRIBUNE – Par ces temps de critique de la dépense publique, les territoires cherchent plus que jamais à conjuguer efficacité de l’action publique et sobriété financière : en quoi les EPL sont-elles un modèle pertinent ?

PHILIPPE LAURENT – Les EPL permettent d’allier la capacité à aller chercher des financements privés pour des projets souvent d’aménagement du territoire, de logement ou industriels, à un contrôle public par les collectivités locales qui en sont actionnaires. C’est une façon de faire relativement adaptée aux temps actuels… On observe aujourd’hui, par exemple, une sorte de fixation sur le nombre de fonctionnaires. Or, les EPL n’emploient pas de fonctionnaires et elles sont financièrement autonomes, elles vendent de la prestation à leurs actionnaires. On constate que les SPL ou SEM immobilières ou d’aménagement sont sous-capitalisées, obligeant les collectivités à injecter capitaux propres pour leur permettre de mieux emprunter pour mener leurs projets. Mais ce n’est pas vraiment de la dépense publique, c’est de l’apport en capital. Les EPL sont classées dans la catégorie des Sociétés Anonymes et leur dette n’est généralement pas consolidée dans la dette publique, ce qui est une force par rapport au ratio de la France. Il faut savoir qu’en Allemagne, la plupart des grands services gérés par les collectivités locales sont souvent des SPL : leurs encours de dettes représentent entre 500 à 600 milliards d’euros, et ce ne sont pas les collectivités qui portent ces emprunts. L’économie mixte locale, via les EPL, constitue une opportunité unique pour intervenir de manière concrète et agile, sans peser directement sur la dette publique.

Le budget de l’État est sur sa table, tout en haut de la pile, avec l’inquiétude pour les collectivités locales de voir leurs marges de manœuvre se réduire encore davantage. Cela risque d’avoir un impact pour les EPL ?

Affaiblir les actionnaires de SEM ou SPL ne va pas les renforcer, notamment sur la question de la sous-capitalisation, mais elles peuvent permettre à la collectivité de continuer à agir en s’associant avec des partenaires privés. Même s’il n’y a pas de miracle… D’autant que le partenaire privé ne vient qu’à condition qu’il y trouve son intérêt, donc que l’activité présente un certain degré de rentabilité. Il se crée environ 50 EPL par an et ça va s’accélérer.

Les EPL sont une alternative à la délégation de service public (DSP) ou à la régie publique, une sorte de 3e voie. Est- ce un modèle en expansion ?

Oui, il se crée environ 50 EPL par an et ça va s’accélérer car il y a une appropriation progressive par les élus et les administrations locales des collectivités. La fédération poursuit d’ailleurs son travail d’acculturation des services municipaux, par exemple, pour que ce statut d’EPL soit considéré comme un outil de la collectivité. C’est le travail du maire ou du président de l’exécutif : l’EPL, c’est d’abord un portage politique. Il faut savoir que c’est un statut très développé ailleurs en Europe (qui compte 32 000 entreprises publiques locales, NDLR), comme en Allemagne, où les activités des EPL sont sept à huit fois supérieures à celles en France, mais aussi en Autriche ou dans les pays du Nord. En France, ce modèle est très développé dans les outre-mer, où historiquement la présence de l’État a amené les élus à se débrouiller entre eux…

Les EPL interviennent historiquement dans les secteurs du logement ou de l’aménagement du territoire. Sont-elles plébiscitées pour d’autres secteurs ?

Aujourd’hui, elles sont requises dans des domaines plus industriels comme la production d’énergie, éolienne ou biomasse, ou dans le culturel et social pour consolider des structures associatives. En milieu rural, par exemple, beaucoup de crèches sont issues du milieu associatif, mais ce modèle s’essouffle par manque de bénévoles qui s’engagent sur la gestion. On les fait donc basculer en SPL. On voit aussi des SPL pour créer des théâtres. C’est un modèle alternatif à l’associatif. Ce n’est pas la révolution mais c’est un modèle en évolution.

Quelles sont les fragilités des EPL que vous souhaiteriez voir corrigées aujourd’hui ?

Quand une SPL ou une SEM emprunte, elle a besoin des collectivités actionnaires pour garantir ces emprunts, à 100 % quand il s’agit de logements sociaux mais seulement à 50 % pour un projet de production d’énergie, ce qui crée un renchérissement du coût de l’emprunt. Nous demandons donc qu’on puisse monter les garanties pour leur permettre d’emprunter moins cher… Autre sujet pénible : les juges considèrent qu’un maire, quand il est administrateur ou président d’une SPL, peut être en conflit d’intérêts. C’est ce qu’on appelle le conflit d’intérêts public-public. Il y a donc un sujet de nécessaire clarification de la loi, qui est compris dans le projet de loi sur le statut de l’élu local, actuellement en attente au parlement. Enfin, la situation de certaines SEM d’aménagement pourrait s’avérer fragile : elles ont investi pour acheter et aménager des terrains alors qu’il n’y a plus de clients en raison de la crise immobilière. Les SEM de logement, tout comme les offices publics HLM, sont également en fragilité soit parce qu’il y a eu des mesures négatives de la part des gouvernements, notamment sous Macron, soit du fait de politiques du logement insuffisantes. Les EPL construisent de la confiance locale entre acteurs locaux.

La thématique du congrès, c’est « L’économie mixte locale, faisons confiance aux territoires ! ». La confiance est une va‐ leur en perdition dans la période politique chahutée que l’on traverse : les EPL sont-elles de nature à ramener de la confiance ?

Une des caractéristiques des EPL, c’est de permettre de mutualiser des actions entre collectivités de manière différente de l’intercommunalité institutionnelle, et c’est intéressant pour l’action locale. Les élus locaux sont les plus légitimes pour mettre en place les coopérations adéquates permettant de répondre aux besoins de leurs habitants. On voit bien que les maires veulent faire avancer des projets, même quand ça ne va pas bien, et qu’ils savent travailler ensemble, même quand ils ne sont pas dans les mêmes familles politiques. Les EPL construisent de la confiance locale entre acteurs locaux…Mais on est aussi dans une période de défiance de l’administration centrale à l’égard des territoires et donc à l’égard des EPL car elle ne comprend pas toujours bien cette alliance entre contrôle public local et investissements privés, un attelage qui génère de la suspicion. C’est un problème culturel… Or l’EPL est une entreprise avec des obligations de résultat, des comptes qui doivent être à l’équilibre. Le mantra des élus locaux, c’est « faites-nous confiance » ! Ce pays est beaucoup trop centralisé dans sa réglementation et sa culture, dans l’approche générale des choses… Tous les pays qui sont décentralisés s’en sortent mieux.

Un renouvellement des équipes politiques va se faire en 2026 avec les élections municipales : est-ce toujours un moment critique pour les EPL en raison des éventuels changements d’orientation politique, de priorités ou de risque de désalignement stratégique ?

Ça l’a été jusqu’à il y a une quinzaine d’années mais aujourd’hui, le modèle de l’EPL est accepté par tout le monde, les derniers à s’y rallier ayant été La France Insoumise qui y voyait de la privatisation mais qui, depuis qu’elle a des élus dans certaines communes, en a bien compris l’intérêt. Aujourd’hui, on trouve des « amis » des EPL dans l’ensemble des groupes politiques. Donc nous ne craignons pas de retournement politique qui amènerait à des modifications de gestion. Il y aura peut-être des modifications sur la gouvernance mais pas sur des sujets de fond. Le modèle ne sera pas remis en question.

Par Cécile Chaigneau