Les 100 jours de la Métropole du Grand Paris
Retrouvez ci-dessous le texte de l’entretien avec Philippe Laurent, maire de Sceaux et conseiller métropolitain, publié le 12 avril 2016 par le Journal du Grand Paris.
Vous figurez parmi les pionniers de la métropole du Grand Paris, quel bilan tirez-vous de ses 100 premiers jours ?
La Métropole institutionnelle existe certes, mais elle n’incarnera sans doute pas le fait métropolitain. Celui-ci est multiforme, se développe en dehors des canaux traditionnels dans tous les milieux, et ne peut se résoudre au fonctionnement d’une assemblée comprenant un nombre impressionnant de vice-présidents, questeur, conseillers délégués – dont on vient de découvrir, pour la plupart, leur intérêt pour la chose … -, mais où la réflexion politique à long terme est pour le moment quasi-absente. Il est aussi symptomatique de constater que le tiers des vice-présidents sont parlementaires. C’est un peu la métropole des notables …
C’est en ce sens très différent de Paris Métropole, où la parole circule facilement, où les idées s’élaborent en commun, où l’on apprend beaucoup des autres.
A ma grande surprise, le premier acte de la MGP a été de se constituer en groupes partisans : c’est un comportement de type « assemblée nationale » ou « région », totalement contraire à celui d’une assemblée de maires et à l’esprit qui doit l’animer. Les premières réunions montrent aussi de façon éclatante le fossé « culturel » entre les élus parisiens – qui composent un petit tiers de l’assemblée métropolitaine – et les maires : pour les premiers, tout naturellement, le Grand Paris, c’est Paris en plus grand. Ils ne comprennent simplement pas comment fonctionne une commune de 20 000 ou 30 000 habitants de banlieue, les ressorts de l’identité communale. Et un autre fossé, celui entre les territoires de la Métropole institutionnelle et ceux de la « grande couronne », est aussi en train de se creuser à grande vitesse : nous en sommes tellement conscients que toutes les discussions au sein de Paris Métropole aborde ce problème nouveau. On voit bien par exemple comment les grandes communautés d’agglomération de la grande couronne se structurent autour des communes, qui gardent notamment la compétence essentielle du PLU, alors que les communes de petite couronne se réveillent avec la gueule de bois en voyant par exemple le PLU s’éloigner dans des territoires dont la Métropole leur dispute le leadership.
Dès lors que l’on abordera les décisions contraignantes avec les « schémas », et qu’il faudra faire des choix, le « consensus » volera en éclats, à moins que les élus se résolvent à des non-choix, ce qui serait la fin de l’idée politique métropolitaine. Je crains donc que, dans cette hypothèse, l’affaire ne se termine assez vite par une prise en main totale par l’Etat : déjà, c’est un préfet – et non un administrateur territorial – qui dirigera les services … Et il faudrait aussi évoquer le discours tenu par la Région, dont j’attends avec intérêt la clarification lors de la première réunion de la conférence territoriale de l’action publique (la CTAP, créée par la loi MAPTAM, et dont bizarrement personne ne parle …).
A quelles fins faut-il employer les 65 millions d’euros du budget propre de la métropole selon vous ?
Le débat a été esquissé lors de la séance budgétaire, et il est intéressant. En réalité, la Métropole engagera peut-être cette somme en 2016, mais elle ne la dépensera pas. Nous la retrouverons en grande partie en excédent de clôture à la fin de l’exercice. Le débat sur le reversement partiel aux territoires ou aux communes a été évacué trop rapidement : la Métropole aurait pu en effet consentir, sur des bases simples, à accompagner cette année les communes, sur la base par exemple d’un mécanisme de soutien aux « maires bâtisseurs ». Ce mécanisme existe au niveau de l’Etat, la Métropole aurait pu s’en inspirer en y consacrant une enveloppe de 10 ou 20 millions d’euros. Cela aurait renforcé sa légitimité auprès des maires en lui donnant une utilité concrète dans un domaine où elle est attendue, et n’aurait pas obéré sa marge de manoeuvre pour l’avenir.
Au lieu de cela, la Métropole se lance dans un nouvel « appel à projets », et uniquement cela : je pense que de nombreux maires sont fatigués de ces appels à projet incessants, toujours remportés par les mêmes qui peuvent consacrer des moyens importants aux dossiers. Les maires n’ont pas été élus pour se lancer dans un concours de beauté, mais pour mener des politiques en faveur des habitants et développer leur territoire. De la part de leurs partenaires, ils ont besoin de règles simples, valables pour tous, applicables en fonction de critères équitables. L’appel à projets, c’est le cache-misère des politiques publiques, qui transforme l’action publique en compétition permanente. Peut-être les élus devraient-ils revenir aux fondamentaux plutôt que d’inventer sans cesse de nouvelles occasions de communiquer.
Les EPT se trouveraient, dès leur naissance, dans une situation financière très contrainte, vous le confirmez ?
Oui. C’est la construction même du système qui est en cause. Les compétences des EPT sont financièrement lourdes, et ceux-ci ne disposent pas des ressources qui correspondent à ces compétences, notamment en « dynamique ». Ils ne peuvent en fait équilibrer leur budget que par une contribution volontaire des communes. Mais c’est aussi ce que nous, les maires, avons voulu, notamment en récupérant une partie de la dynamique des bases des taxes ménages. Il y a cependant quelques « bugs » dans le système, notamment dans la différence de traitement entre les communes qui faisaient déjà partie d’un EPCI et les autres. Mais ceci devrait pouvoir être corrigé à terme. Si l’on reste vraiment dans l’optique où les EPT sont avant tout les outils des communes, les difficultés des EPT devraient trouver assez vite des solutions, avec la collaboration et la confiance des communes précisément. Le tout, naturellement, dans un contexte qui est rendu très difficile par la baisse des dotations de l’Etat qui se poursuit.
Patrick Ollier va prochainement réunir les présidents de territoire, êtes vous partisan de la pérennisation d’une conférence des territoires ?
Tout dépend de l’esprit dans lequel ceci s’organise. Pendant la discussion législative, j’avais avec d’autres posé la question de la vocation exacte des territoires : outil des communes pour gérer des services et équipements urbains, ou déclinaison territoriale de la stratégie métropolitaine. En l’occurrence, même si ce n’est pas encore très clair, il semble que le président de la MGP songe à s’appuyer sur les présidents d’EPT pour élaborer et faire appliquer la stratégie métropolitaine, en faire en quelque sorte ses ambassadeurs sur les territoires. Ce serait dès lors méconnaître l’esprit de la loi : schématiquement, la commune est la clé de voûte du système, à la fois source de la Métropole (pour la stratégie) et des territoires (pour la gestion), et il n’y a absolument pas empilement et hiérarchie. Dès lors, l’institutionnalisation d’une conférence des territoires, qui apparaît à première vue comme une évidence, irait dans le sens de l’effacement rapide des communes de petite couronne. Il faudrait dès lors que ce soit la Métropole qui assure l’équilibre budgétaire des EPT, et non les communes. Le président de la MGP joue avec le feu, en oubliant que les présidents des ETP n’ont de légitimité que celle que leur confèrent les maires du territoire …
2017, c’est-à-dire demain, donnera sans doute l’occasion d’apporter des correctifs aux dispositions « Grand Paris » des lois NOTRe et Maptam. Quels sont vos voeux dans ce domaine ?
La question de l’organisation métropolitaine ne sera sans doute pas la priorité d’une nouvelle majorité parlementaire et/ou présidentielle en 2017. D’autant que, assez cyniquement, il n’est pas impossible que la technocratie d’Etat (de droite comme de gauche) ait finalement intérêt à laisser les choses se déliter tranquillement, pour mieux reprendre la main dans quelques années.
En réalité, de nombreux points seraient à trancher. On ne l’a pas fait en deux lois, il n’est pas certain qu’on y parvienne avec une loi supplémentaire ! Parmi ces points, l’avenir des départements de petite couronne. En ce sens, la volonté de Paris de fusionner le département avec la ville va totalement à l’encontre de l’idée, pourtant intéressante, de fusionner les départements et la métropole, ce qui renforcerait cette dernière.
Egalement, la relation avec la Région. Dire que « la métropole, c’est la région », c’est méconnaître les légitimités électorales respectives et différentes des élus régionaux élus par scrutin de liste d’une part, des maires d’autre part. Il faut comprendre que la Métropole institutionnelle ne peut tenir que par les maires. Sans eux et sans leur engagement, elle s’effondrera naturellement. Paradoxalement, alors que les communes perdent de leur pouvoir d’action et de décision, les maires gardent en apparence et dans les discours leur influence, et on fait mine de se disputer leurs faveurs. Mais pour combien de temps encore ? Cette question est, selon moi, structurante dans les débats à venir autour de l’adaptation de l’organisation métropolitaine. Elle vaut pour le pays tout entier d’ailleurs.
Reste la question du suffrage universel direct pour la désignation du pouvoir métropolitain. Le principe en est inscrit dans la loi, les modalités restent à trouver. Mais l’issue est inéluctable. Elle sera d’ailleurs précipitée par la notabilisation en cours de la métropole institutionnelle, qui risque de ne pas aboutir pas aux résultats espérés. Là encore, restera à définir la place des maires et à trancher les conflits de légitimité.