[Le Monde] Tribune Collectif : « Le statut des élus locaux doit être rendu plus attractif »
Un an avant les élections municipales de mars 2026, il est urgent de rassurer les élus en place et d’inciter de futurs candidats à s’engager, ce qui passe par une amélioration des conditions d’exercice de leur mandat, souligne, dans une tribune au « Monde », un collectif d’élus locaux, à l’initiative de Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France.

Le maire, en particulier dans les petites villes, est le lieutenant de la République. Premier à officier sur le front, il a la responsabilité d’une équipe tout en devant respecter des règles qui ne relèvent largement pas de sa décision, et il s’expose personnellement, directement, à un feu nourri.
Aujourd’hui, les injures et diffamations publiques contre les maires sont quotidiennes, les menaces contre leur personne ou leurs biens fréquentes, les agressions physiques se banalisent et la charge mentale augmente, au point de se traduire, depuis peu, chez les élus locaux, par une vague inédite de démissions. Pas une semaine, depuis le début de l’année, sans que la presse régionale relaye le témoignage d’un maire qui jette l’éponge et rende l’écharpe.
Dans un très beau livre qui vient de paraître, Maires, le grand gâchis (Robert Laffont), notre ancienne collègue, Camille Pouponneau, qui a récemment démissionné de la mairie de Pibrac (Haute-Garonne) raconte comment, malgré son enthousiasme et sa fougue, elle a été conduite à jeter l’éponge, au bord de l’épuisement et du burn-out. Dans une récente étude, huit maires sur dix considèrent que leur santé est mise à mal dans l’exercice quotidien de leur fonction. La pression, celle de l’Etat comme celle de nos concitoyens devient beaucoup trop forte.
Or notre pays a impérativement besoin des élus locaux. Pas seulement le temps des crises, qu’il s’agisse de la pandémie, des émeutes urbaines ou de la léthargie d’un Etat réduit à la gestion des affaires courantes, mais au quotidien, pour (re)tisser en permanence le lien social.
Expérience et agilité
Alors, un an avant les élections municipales de mars 2026, comment faire en sorte que nos compatriotes continuent à s’engager à servir leur territoire ? Avec une question subsidiaire : comment favoriser l’engagement du plus grand nombre de citoyens, quels que soient leur âge, leur sexe et leur catégorie professionnelle ?
Notre démocratie locale est confrontée à un double défi : non seulement stopper l’hémorragie, mais aussi favoriser l’afflux de sang neuf. Car le visage des maires a une fâcheuse tendance à s’uniformiser : alors que 12 % des maires avaient moins de 40 ans en 1983, ces derniers ne représentent plus que 3 % des maires en 2023. Or nos communes ont autant besoin de la sagesse et de l’expérience des anciens que de l’agilité et de l’inventivité des jeunes actifs. Plus de quatre maires sur cinq sont encore, à ce jour, des hommes. Quant aux employés et ouvriers, alors qu’ils représentent 30 % de la population et 45 % des actifs, ils ne comptent que pour 9 % des maires.
En premier lieu, à l’évidence, la République doit se faire davantage respecter : la loi du 21 mars 2024 a aggravé les peines en cas d’acte commis contre les élus. C’était nécessaire ; ce n’est pas suffisant : la répression doit, dans les faits et pas seulement dans les textes, être systématique et efficace, ce qui requiert l’engagement effectif des procureurs, encore parfois défaillant, aux côtés des élus bousculés et menacés.
Plus encore, c’est de la nation tout entière que doit venir le soutien aux élus de proximité. Ces concitoyens ne comptent pas leurs heures en commissions municipales et intercommunales, en réunions de travail avec les services, les entreprises du territoire, les services de l’Etat et les autres collectivités pour faire avancer les dossiers d’intérêt général : ils dirigent, dans les villes de plus de 3 000 habitants, de véritables PME avec des dizaines, voire des centaines d’employés et des budgets de fonctionnement et d’investissement de plusieurs millions d’euros. Ils consacrent souvent à leurs fonctions plus de cinquante heures hebdomadaires, restent mobilisés le week-end, presque toujours au détriment de leur vie de famille, et engagent leur responsabilité personnelle dans l’intérêt de tous.
Propositions de loi
L’occasion pour la nation de témoigner ce soutien se présente très prochainement, puisque le gouvernement a annoncé soutenir le chantier législatif lancé l’an dernier à la fois par le Sénat, qui a adopté le 7 mars 2024 à l’unanimité la proposition de loi « portant création d’un statut de l’élu local », par le rapport d’Eric Woerth remis le 30 mai 2024 au président de la République, enfin par l’Assemblée nationale devant laquelle une proposition de loi largement convergente avec le texte sénatorial a été déposée le 17 septembre 2024. Chacun espère qu’un projet unique rassemble ces contributions et puisse être adopté avant l’été.
Ce texte aurait le grand mérite de soulever en même temps de nombreux leviers contribuant à rendre les mandats locaux plus attractifs : la consolidation du droit à la formation, pour renforcer la capacité des élus à prendre à bras-le-corps les défis du mandat ; l’attribution d’un trimestre de retraite supplémentaire pour chaque mandat complet d’exécutif ; l’extension de la prise en charge des frais de transport, de garde d’enfants et d’accompagnement de personnes âgées ou handicapées lorsque les élus se rendent à des réunions liées à leur mandat ; la revalorisation des indemnités de fonction des maires et de leurs adjoints et leur maintien en cas de congé maternité ; l’extension des autorisations d’absence et des crédits d’heures pour les actifs, pour faciliter la conciliation avec la vie professionnelle et personnelle ; l’extension de l’allocation différentielle de fin de mandat, pour favoriser la réinsertion ; enfin la suppression de la répression des conflits d’intérêts entre deux entités publiques, pour calmer la crainte de voir engagée la responsabilité personnelle des élus de bonne foi.
Ces mesures n’auraient pas seulement pour objet et pour effet de soutenir les élus en place dans leurs tâches quotidiennes et de contribuer à améliorer la qualité de la décision publique : elles permettraient aussi d’envoyer un signal tangible à tous ceux qui ne sont pas élus et qui envisagent de se porter candidats, sans encore oser franchir le pas ; c’est garantir à chacun non seulement le droit mais aussi les moyens réels de s’engager, et donc de servir.
Il y a urgence à agir pour éviter un « grand gâchis » démocratique.