Il y a un an, le rapport sur le temps de travail des fonctionnaires …
Alors que la question du rôle et de la place de la fonction publique et des collectivités se posent à nouveau et que le dialogue social se voit opposer un gouvernement par ordonnances, il apparaît souhaitable, au contraire, de réfléchir collectivement à certaines pistes pour réformer.
Il y a un an, je remettais à la ministre de la Fonction publique mon Rapport sur le temps de travail dans la fonction publique[1]. Ce travail, commandé par le Premier ministre, avait pour objectif de dresser un état des lieux objectif de la mise en œuvre des 35 heures au sein des trois fonctions publiques et de mettre sur la table des propositions ambitieuses.
Il convient de rappeler que « la mise en œuvre de l’ARTT correspondait à une stratégie économique de création d’emplois dans les entreprises du secteur privé »[2]. La réduction du temps de travail n’était donc pas prévue à l’origine pour la fonction publique. Elle s’est imposée au titre de l’égalité de traitement et s’est faite dans une volonté de préservation des acquis sociaux.
Au sein des administrations centrales, hospitalières et des les collectivités territoriales, les RTT sont apparues comme un stock de congés supplémentaires, gérées en volume annuellement alors qu’elles ne font que compenser des journées travaillées. De plus, il n’y a pas eu de véritable discussion de fond sur les jours de congés supplémentaires et de fractionnement, qui avec l’arrivée des RTT, ont franchement perdu de leur sens. C’est pourquoi, le rapport préconise de mettre fin aux premiers et de ne maintenir les seconds qu’aux agents travaillant sur une base de 7 heures par jour, 5 jours par semaine et ne bénéficiant pas de RTT.
Les ouvertures de comptes épargne temps ont depuis explosé, avec des coûts budgétaires très lourds pour les finances publiques (et parfois non comptabilisés …). En 2012, la Cour des comptes relevait que près de 6 millions de journées remplissaient les coffres virtuels des DRH. Nul doute que l’Etat d’urgence a continué à faire tourner à plein les compteurs. Il devient impérieux de contrôler la mise en œuvre du compte épargne-temps pour en évaluer exactement l’impact budgétaire, actuel ou futur.
Toujours au stade des recommandations, l’annualisation du temps de travail est une piste envisagée par le rapport. Ce qui est proposé, c’est d’aller vers une meilleure adéquation entre activité et moyens. Autrement dit, dans les domaines d’activités où cela est possible, il conviendrait d’identifier périodes pleines et périodes creuses pour y ajuster par exemple la prise de congés. La mise en œuvre d’une telle réforme ne peut se faire que dans le cadre d’un dialogue social ambitieux et constructif. Elle permettrait en tout cas d’importantes économies, sans sang, ni larmes.
Par ailleurs, la lutte contre l’absentéisme ressort comme un troisième volet d’amélioration. N’oublions pas d’abord que les fonctionnaires ne se donnent pas des arrêts de travail eux-mêmes et que ces derniers traduisent de la pénibilité de certains métiers. Ce n’est pas un hasard si les filières techniques et médico-sociales sont davantage touchées que les autres. Ces métiers sont difficiles tant par leurs tâches que par leurs rythmes. Mais les arrêts maladie sont, il est vrai, plus nombreux que dans le privé. Ils soulignent des inégalités fortes et cristallisent les tensions. Pour cette raison, qui contribue largement au « fonctionnaires bashing », la piste d’un retour à un jour de carence est à envisager.
Enfin, le développement des mobilités offrirait des possibilités d’adaptation et d’assouplissement au sein des services, tout en ouvrant davantage les perspectives de carrière des agents. Une des réalités de la fonction publique, c’est que peuvent se côtoyer au sein d’une même direction des personnels débordés par la charge de travail et des personnels affectés à des tâches de gestion ou d’évaluation, en décalage avec l’activité. Cela est particulièrement vrai dans la police, au sein des hôpitaux ou dans les académies.
Si le rapport a confirmé que le temps de travail dans la fonction publique était effectivement inférieur à la durée légale des 1607 heures annuelles, il n’en a pas moins explicité les principales causes : « le choix de compenser par des réductions d’horaires les contraintes particulières auxquelles les agents publics sont exposés plus fréquemment que les salariés privés, travail de nuit et du dimanche ou astreintes »[3]. Les exigences du service public sous-tendent en effet une permanence des missions, des rythmes particuliers ou des cycles atypiques. Pour répondre à cette nécessité, les personnels soignants sont soumis au travail de nuit (32,3%) ou le dimanche (64%), soit plus du double des salariés du secteur privé[4].
Dans le débat public, les discussions sur le temps de travail sont trop souvent limitées à une approche budgétaire et à une maîtrise en volume des effectifs. Le rapport plaide pour une réflexion globale et dynamique sur l’adaptation du service public aux attentes des usagers, sur l’organisation, sur les compétences et la formation de l’encadrement et sur les conditions de travail. Par ailleurs, au regard des enjeux numériques et organisationnels, la fonction publique ne peut – à l’instar du secteur privé – faire l’économie d’une reconsidération de la conception traditionnelle du temps de travail, parfois « invisible ».
La réforme de la fonction publique est certainement plus subtile que les raisonnements d’estrade que nous connaissons trop. Dans cette perspective, le dialogue social apparait comme la pierre angulaire des défis qui nous attendent. Le Rapport sur le temps de travail dans la fonction publique doit se lire comme un manifeste pour préserver nos services publics et par là même notre modèle de société. Son approche se veut néanmoins pragmatique et en phase avec les enjeux économiques et sociaux de demain. Il ne s’interdit aucun tabou pour demain. Pas plus qu’il ne condamne aujourd’hui. Il suggère simplement un effort collectif pour tirer notre pays vers le haut.
[1] LAURENT Philippe, Rapport sur le temps de travail dans la fonction publique, Paris, mai 2016
[2] Ibid p. 22
[3] Ibid, p. 44
[4] Ibid, p. 47