Dette publique : une affaire de politique
Article paru dans Les Echos, en janvier 2006
Le Premier ministre a pris l’initiative de convoquer, le 11 janvier, une « conférence nationale de finances publiques » dans laquelle se retrouveront les représentants de tous les organismes et institutions qui gèrent des fonds publics.
L’Association des maires de France se félicite de cette initiative qu’elle a appelée de ses vœux depuis plusieurs années. Pour autant, si elle veut atteindre son objectif d’un constat partagé, la conférence devra éviter plusieurs écueils.
Le premier de ces écueils a trait à la « diabolisation » de la gestion publique locale, dont la tentation est permanente au niveau central.
Il faut pourtant rappeler que l’encours de la dette des collectivités locales est de l’ordre de 100 milliards d’euros, dix fois plus faible que l’encours de la dette de l’Etat. Surtout, au contraire de l’Etat, la dette locale ne finance que l’accroissement du patrimoine de nos collectivités, et non le fonctionnement courant. En 2004, la dette publique locale a augmenté de 2,5 milliards d’euros,
alors même que les investissements locaux se montaient à 43 milliards d’euros. Dans le même temps, les investissements de l’Etat plafonnaient à 18 milliards, alors que la dette de l’Etat progressait de près de 50 milliards. L’Etat emprunte pour payer les salaires, après avoir baissé les impôts. Les collectivités locales empruntent (très peu) pour financer des investissements (infrastructures, équipements publics, installations de protection de l’environnement, …), développer le pays et préparer l’avenir.
Les élus locaux ne peuvent donc accepter les appréciations très négatives portées
par certains membres du gouvernement et du Parlement selon lesquelles les finances locales
seraient – je cite – « dans le rouge ». Ces appréciations ont fait mal, parce qu’elles étaient à la fois infondées et surtout très injustes à l’égard d’acteurs publics dont chacun connaît l’engagement. Ce n’est jamais par plaisir qu’un maire augmente l’impôt, c’est soit parce qu’il fait le choix politique de répondre à un besoin de service public, soit parce que la loi lui impose des charges supplémentaires !
Le second écueil à éviter, c’est celui de la « diabolisation » de la dépense publique et de l’impôt. L’évolution de la dette publique est en effet indissociablement liée aux choix effectués en termes de redistribution des richesses produites, de niveau de consommation obligatoire ou obligée, de socialisation et de mutualisation de couverture des risques de la vie pour chacun. La dette publique, ce n’est pas une affaire de gestion, c’est un choix politique.
Il n’y a que deux manières de remédier à la situation actuelle du point de vue de la dette de l’Etat. La première est de réduire fortement, d’environ 15%, les dépenses courantes : une fois les gains de productivité réalisés, cela signifie moins de fonctionnaires (dans quels domaines ?), moins de prestations, donc moins de redistribution. La seconde est d’augmenter les recettes, donc l’impôt. Celle-ci est quasi-unanimement refusée, au prétexte que les prélèvements obligatoires sont aujourd’hui plus élevés en France qu’ailleurs. Mais on omet de préciser que les services rendus à bas prix ou gratuitement pour le consommateur par la collectivité sont aussi plus développés, dans le domaine de l’éducation et de la santé par exemple. Que seraient donc les prélèvements dans les autres pays à niveau de prestation identique ? C’est cela qu’il convient de comparer, et non le niveau dans l’absolu des prélèvements. Comme il convient de souligner que le niveau des prélèvement en France est loin d’être confiscatoire : le taux d’épargne très élevé des Français en témoigne. Malgré la possession d’un patrimoine estimé à près de 7 000 milliards d’euros, les ménages français ne sont endettés qu’à hauteur de 700 milliards à titre personnel, 1 800 milliards si on y ajoute l’endettement public. Ce rapport entre le patrimoine et la dette est beaucoup plus favorable que dans la plupart des autres pays. Il y a ainsi eu, en quelque sorte, transfert de l’endettement du privé vers le public par suite d’une insuffisance de prélèvements ou d’une surabondance de prestations publiques.
La conférence voulue par le Premier ministre pourra poser les termes de l’analyse, plus en profondeur que ne l’a fait le rapport Pébereau. Mais la réponse sera nécessairement politique. Ce sera sans aucun doute le grand débat de 2007.