Bradage du patrimoine national et « identité nationale » …

La lente entreprise de déstructuration de l’appareil culturel français se poursuit. Bizarrement, elle touche – notamment – la politique patrimoniale, pourtant réputée comme étant plutôt l’apanage de la droite.

Après la bataille – non définitivement acquise cependant – autour du maintien ou pas de l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), un nouveau coup est porté à l’échafaudage juridique et administratif qui sous-tend la gestion du patrimoine national, dont on peut d’ailleurs se demander s’il participe ou non à l’identité du même nom …

En effet, le projet de loi de Finances pour 2010 contient une disposition (article 52) qui organise un « appel généralisé et sans limite temporelle au volontariat des collectivités territoriales » pour que celles-ci puissent se voir transférer tous les monuments appartenant à l’Etat ou à ses établissements publics. Il s’agit de poursuivre ce qui avait été engagé par la loi de 2004, qui, en revanche, dressait une liste limitative et limitait la période de l’appel à transfert à un an. Ainsi, le domaine national de Saint-Cloud pourrait être transféré au conseil général des Hauts-de-Seine.

Il se murmure d’ailleurs que c’est l’actuel président dudit conseil général, par ailleurs ministre, qui aurait insisté pour que cet article figure dans la loi. Il aurait trouvé de précieux alliés chez les comptables de Bercy qui y voient un nouveau moyen d’alléger les dépenses de l’Etat, totalement oublieux qu’ils sont devenus de la moindre notion d’intérêt général. Ainsi, l’alliance entre la mégalomanie de quelques-uns et l’obsession comptable court-termiste de quelques autres aura eu raison d’une politique rigoureuse, à laquelle d’illustres personnage comme Mérimée ou Viollet-le-Duc auront apporté leur « pierre ».

Pire même, ce transfert est décidé – à la demande d’une collectivité territoriale – sur simple décision du préfet. Le ministère de la Culture n’a aucunement son mot à dire. L’actuel locataire de la rue de Valois n’y voit pas malice. Sans doute le patrimoine n’est-il pas sa tasse de thé. Tout au plus se contente-t-il d’appeler à la « nécessité de conserver une présence directe de l’Etat sur tout le territoire ainsi que la cohérence de la politique culturelle générale » (Le Monde du 23 novembre 2009)… Des mots.

Que va-t-il se passer ? Parmi les milliers de monuments propriétés de l’Etat, seuls quelques-uns sont rentables parce que très visités. Par exemple, le Mont-Saint-Michel, ou la cité de Carcassonne. Ce sont évidemment ceux-là dont vont s’emparer en priorité les collectivités territoriales concernées. Jusqu’alors, une mutualisation s’opérait entre ces quelques « perles » et les autres monuments, notamment au sein du Centre des monuments nationaux. C’en sera terminé, et il ne faut évidemment pas compter sur Bercy pour venir au secours de ces milliers de bâtiments, témoignages de l’histoire, nationale ou pas, mais surtout de la créativité des hommes, qui disparaîtront lentement dans l’oubli …

Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas un adepte de l’intervention à tout crin de l’Etat et que je fais beaucoup plus confiance, dans de nombreux domaines, à l’engagement et à la mobilisation des acteurs locaux du territoire. Pour autant, je suis convaincu de longue date que, s’il est un domaine où l’Etat a un rôle majeur à jouer, c’est vraiment celui de la culture et de l’éducation. C’est même – ou cela devrait redevenir – selon moi, un des éléments forts de notre « identité nationale » : partager une même conviction que l’avenir de l’humanité réside dans sa capacité à proposer à tous un parcours d’éducation qui ne se contente pas de fabriquer des « travailleurs », mais aussi des « citoyens ». Disant cela, je ne fais certes pas preuve de grande originalité. Mais j’ai parfois le sentiment que ceux qui le disent sont aussi les premiers à prendre des décisions qui vont à l’encontre de cette conviction.

En tout cas, vu sous cet angle, le bradage annoncé de notre patrimoine national me semble être un bien mauvais signe adressé à notre fameuse « identité nationale » !

Complément en date du 2 janvier 2010 : le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution la disposition de l’ex-article 52 (devenu article 116) car n’ayant pas de rapport avec l’objet d’une loi de Finances. La discussion reprendra donc, sans doute dans la loi portant réforme des collectivités territoriales. D’ici là, il faut que tous ceux qui refusent le bradage du patrimoine national proposent un schéma qui équilibre les interventions de l’Etat et celles des collectivités territoriales.

 

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