[Acteurs Publics] “Il ne faut pas oublier que ce sont les médecins qui donnent les arrêts maladie”

Dans cette interview, le maire UDI de Sceaux et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) plaide pour un renforcement de la prévention afin de limiter l’absentéisme dans les collectivités.

Le sujet de l’absentéisme dans la fonction publique est récemment revenu sur la table. Comment abordez-vous cette problématique ?

C’est bien entendu un sujet de préoccupation pour tous les employeurs publics, et notamment pour les territoriaux que nous sommes. Le problème, c’est que l’on invoque toujours des comparaisons pour le moins hâtives avec le privé. Il faudrait avoir des chiffres un peu mieux classés par catégories afin, notamment, de se demander si l’absentéisme des agents de catégorie C de la fonction publique territoriale est similaire ou supérieur à l’absentéisme dans les métiers d’exécution des entreprises du secteur privé. Malheureusement, les comparaisons sont trop globales aujourd’hui puisqu’elles ne tiennent pas compte des structurations des métiers dans nos collectivités.

Certains considèrent la territoriale comme ayant la palme de l’absentéisme dans la fonction publique. Que leur répondez-vous ?

C’est facile de le dire, mais ce jugement est toujours un peu hâtif si l’on ne recherche pas les causes véritables de cet absentéisme et si aucune analyse approfondie n’en est faite. Dans la territoriale, l’absentéisme résulte de l’usure professionnelle, de la nature de ses métiers et de la pyramide des âges. Il ne faut pas oublier non plus que ce sont les médecins qui donnent les arrêts maladie, ce ne sont pas les employeurs publics ni les agents publics eux-mêmes ! Si l’on considère que les médecins donnent trop facilement des arrêts de travail aux agents publics, il faut le dire. Soit on fait confiance aux médecins, soit on se penche véritablement sur les conditions de la délivrance des arrêts maladie. Mais cela relève du rôle des caisses d’assurance maladie, ce n’est pas notre travail.

En cas de doute sur un arrêt maladie, vous avez la possibilité, en tant qu’employeur, de soumettre vos agents à des visites de contrôle par des médecins agréés. Est-ce un levier efficace ?

Cela ne marche pas. Il y a peu de chances que ces médecins agréés contredisent leurs confrères. L’absentéisme de confort reste néanmoins très limité dans les collectivités, et notamment dans celles de taille moyenne. Il existe aussi une forme de contrôle social entre collègues. Par exemple, dans une crèche, une absence peut durer un jour ou deux. Dans ce cas, le travail peut être partagé entre l’ensemble des agents. Je ne pense pas que les agents exagèrent. Si c’était le cas, leurs abus seraient directement perceptibles par leurs collègues.

“Il est important de repérer les signaux faibles et que ceux-ci
donnent lieu à une prise en charge avant que les choses ne se
dégradent”

Quel serait le meilleur levier à actionner pour prévenir l’absentéisme dans les collectivités ?

Celui de la prévention et des conditions de travail. Quand on parle des conditions de vie au travail, il ne faut pas uniquement se pencher sur les questions physiques, mais aussi sur celles liées aux risques psychosociaux et sur tout ce qui concerne l’ambiance au travail. Les employeurs et l’encadrement ont une responsabilité importante dans ce domaine. D’où l’enjeu primordial du management quand on évoque l’absentéisme. Il est important d’avoir un management relativement bienveillant, qui va peut-être au-devant des difficultés sans attendre que des problèmes surviennent. Il est tout aussi important de repérer les signaux faibles et que ceux-ci donnent lieu à une prise en charge avant que les choses se dégradent.

Ce sujet de la prévention est-il suffisamment porté aux niveaux politique et RH dans les collectivités ?

La prise de conscience est de plus en plus grande dans la sphère locale. Les services RH des collectivités ont augmenté leur niveau sur ces questions de prévention de l’absentéisme. Cela ne veut pas pour autant dire que les employeurs publics ne doivent pas y être attentifs. Certes, les élus locaux ne peuvent pas tout faire, mais il faut qu’ils encouragent leurs directions générales et leurs directions des ressources humaines à se pencher sur cette question de l’absentéisme. L’enjeu sera encore plus prégnant dans les années à venir avec l’allongement des carrières consécutif au recul de l’âge légal de départ à la retraite. On va assister à un accroissement statistique de l’absentéisme : garder les gens plus longtemps au travail augmente mécaniquement le taux d’absentéisme.

Où en est-on du fonds de prévention de l’usure professionnelle annoncé dans le cadre de la réforme des retraites ?

Il n’a pas encore abouti. Des groupes de travail s’étaient réunis avant la dissolution de l’Assemblée nationale mais depuis, c’est le statu quo. Nous avons demandé à ce que les discussions sur la mise en œuvre de ce fonds reprennent, mais les employeurs territoriaux restent un peu prudents sur sa mise en place. Ce fonds est destiné à initier des actions de prévention, à diffuser des bonnes pratiques, à financer des expérimentations… D’accord, mais si un fonds est mis en place, alors il faudra aussi mettre des moyens en face, et si tel est le cas, ils le seront par les collectivités territoriales, l’État ayant déjà dit qu’il ne mettrait pas la main à la poche. Or le contexte budgétaire actuel rend difficile l’imposition d’une nouvelle charge aux collectivités, dont la situation financière apparaît déjà très compliquée.

Les mutuelles peuvent-elles avoir un rôle à jouer à vos côtés en matière de prévention de l’absentéisme ?

Bien entendu. Elles le font déjà. Plusieurs initiatives sont déjà prises par certaines mutuelles sur le terrain. Il peut s’agir de la mise en avant de bonnes pratiques, d’actions de prévention ou sur l’usure professionnelle. Ces initiatives en lien avec les collectivités ont bien sûr vocation à monter en puissance avec la réforme de la protection sociale complémentaire et l’allongement des carrières des agents publics territoriaux.

Propos recueillis par Bastien Scordia