Retrouvez ma tribune dans le Journal du Grand Paris : « la soutenabilité d’Ile-de-France mobilités ne peut être traitée par la seule variable tarifaire »
Philippe Laurent, maire de Sceaux, appelle de ses voeux l’organisation d’Assises du transport francilien. Face à la polémique en cours sur la perspective d’une hausse du pass Navigo, le président de la commission transports et mobilités du conseil régional d’Ile-de-France décrit les concessions que l’Etat doit effectuer, selon lui, pour ramener Ile-de-France mobilités à l’équilibre.
Quel regard portez-vous sur la polémique en cours sur le financement des transports en Ile-de-France ?
L’Ile-de-France est la première région d’Europe. Elle rassemble plus de 12 millions d’habitants et, comme dans toute agglomération, le système de transport public participe de l’attractivité en permettant de développer les mobilités, facteurs de croissance, de transition énergétique et de cohésion sociale.
Aujourd’hui, il faut malheureusement constater que notre métropole est également un lieu de congestion de circulation, d’atteinte à l’environnement et de déséquilibres sociaux et territoriaux. La saturation des capacités du réseau se fait sentir et engendre de nombreux dysfonctionnements, la colère compréhensible des usagers et un coût social conséquent.
Quelles sont les causes de cette situation ?
D’abord, 30 ans de sous-investissement chronique, entre 1980 et 2010, alors même que le traficaugmentait bien plus vite que la population. Ce retard ne peut se rattraper que sur une très longuepériode (aujourd’hui entamée), pendant laquelle se cumulent tous les désagréments.
Ensuite, une forme de lâcheté de tous les acteurs, qui ont laissé croire au public qu’on pouvait baisser les tarifs sans conséquence aucune et maintenir un coût relatif pour l’usager le plus bas de
toutes les grandes métropoles mondiales. Il en résulte une insuffisance de recettes alors même que les coûts d’exploitation explosent et qu’il faut rendre plus attractifs les métiers du transport, y compris en augmentant les salaires.
Enfin, le comportement irresponsable et court-termiste de l’Etat, qui a laissé la région Capitale bien seule face à la dégradation de la situation du réseau existant alors que l’Ile-de-France est de loin le principal moteur économique du pays. Dans un pays centralisé comme le nôtre, la décentralisation de la compétence « transports » a été un leurre qui a exonéré l’Etat de ses responsabilités tout en lui laissant la main sur tous les leviers : plafond du versement mobilité, contrôle total des principaux opérateurs (RATP et SNCF) contraints de lui verser des dividendes, traitement injuste des conséquences de la crise sanitaire en privilégiant les avances remboursables aux subventions à la différence de ce qui a été fait dans les autres régions, etc.
Quelles pistes préconisez-vous ?
Face à cette situation et aux blocages multiples actuellement constatés, et en tant que président de la commission transports et mobilités de la région Ile-de-France, j’appelle les pouvoirs publics, en premier lieu l’Etat, à prendre toutes leurs responsabilités et faire le pari ambitieux de la relance par des investissements publics massifs.
Dans cette affaire, l’exécutif régional et Ile-de-France mobilités ne restent pas les bras croisés. Mais je crois que l’amélioration du réseau et la soutenabilité du modèle économique d’Ile-de-France mobilités ne sauraient être traités par la seule variable tarifaire. Il me semble que la transformation des avances de l’Etat en subventions, l’acceptation d’une légère progression du plafond du versement mobilité sur une zone limitée du territoire régional, la baisse de la TVA et un ajustement raisonnable des tarifs sont susceptibles de ramener l’exploitation à l’équilibre.
Mais pour aboutir à cela, il faut que les acteurs (gouvernement, Parlement, Région, collectivités impliquées dans Ile-de-France mobilités, opérateurs et représentants des usagers) se parlent enfin en toute transparence et en confiance, avec la préoccupation de l’intérêt général et l’abandon de postures politiciennes. C’est pourquoi l’organisation d’assises du transport régional francilien me semble particulièrement urgente.
Quelle est votre appréciation de l’annonce présidentielle sur de nouveaux réseaux de RER en France ?
Les annonces récentes du président de la République sur les réseaux sociaux sont intéressantes et peuvent faire bouger les lignes, même si le moment où elles se produisent pourraient accréditer une manoeuvre de diversion face aux difficultés franciliennes… Maintenant, les élus des métropoles concernées attendent le calendrier du gouvernement et, surtout, les précisions relatives aux financements nécessaires. L’exemple de la gestion hasardeuse des transports dans la principale région de France ne peut que les rendre circonspects quant à la capacité véritable de l’Etat d’assumer cette volonté qui nécessite un engagement de très long terme.
Doit-on lier ce sujet au financement du Grand Paris express ?
Le pilotage par la Société du Grand Paris et les chantiers des lignes du Grand Paris express sont exemplaires car les projets n’ont pas été que techniques. Ils ont réuni les citoyens et les communes autour des enjeux sur l’attractivité, la qualité de vie, la qualité urbaine et la croissance économique.
Cette approche multidimensionnelle pourrait servir d’exemple, car bâtir un réseau, des gares, ce n’est pas creuser de simples « bouches » de métro. Il s’agit de renouer avec ce qui est le fondement de
nos villes : les places, l’espace public, une densité urbaine qui favorise les rencontres et les échanges…
Le financement de l’infrastructure est majoritairement assuré par l’emprunt à long terme, ce qui est économiquement logique et possible grâce à la garantie de l’Etat. Il faudra cependant assurer les ressources pérennes pour l’amortissement de cet emprunt et, surtout, pour financer le déficit d’exploitation des nouvelles lignes. Là encore, chacun devra assumer ses responsabilités. Il n’est pas trop tôt pour en parler sérieusement.
Pour nos territoires et pour notre pays, le Grand Paris express est une occasion formidable de renforcer l’attractivité de la région Capitale, de faire progresser la qualité de vie de ses habitants et de mettre en avant la capacité d’innovation, en faisant de ces nouvelles lignes une vitrine du savoir-faire français.