L’avenir de la territoriale est dans une vraie décentralisation
Le maire UDI de Sceaux et président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) revient, dans cette tribune, sur les enjeux qui compteront selon lui dans le prochain quinquennat pour la fonction publique territoriale, et sur les chantiers à mener en la matière. Lire la tribune sur Acteurs Public.
Nous entrons dans une année d’élection présidentielle. C’est généralement une période de grandes déclarations, pas nécessairement nuancées. Parmi celles-ci, inévitablement, la diminution du “nombre de fonctionnaires” tient une place de choix, sans que, naturellement, ne soit jamais posée la vraie question : que peut et que doit être le service public dans un pays qui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en a fait l’un des marqueurs de son modèle de société ?
Chacun sait bien qu’aborder le débat sous le seul angle quantitatif n’a strictement aucun sens tant que l’on n’a pas formulé clairement, en même temps, ce que l’on attend du service public dans un pays de plus en plus fracturé et où le besoin de “refaire société” est de plus en plus pressant. Pire, cela vient abîmer l’image du service public et le lien de confiance qui doit unir le pays à ses fonctionnaires. Et cela alors même que la fonction publique – et tout spécialement son versant territorial – doit faire face à de multiples enjeux et sera placée, dans les années qui viennent, face à des questions déterminantes pour son avenir, celui du service public, et finalement le choix, fondamental, du modèle de société, de sa capacité à unir, à inclure, à rassembler et à assurer les nécessaires solidarités.
Nous arrivons au terme du processus législatif du quinquennat qui s’achève et qui a abouti à la loi de transformation de la fonction publique et aux nombreux décrets subséquents. La loi du 6 août 2019 a permis des avancées notables en matière de gestion des ressources humaines, malgré les imperfections dues à la démarche – devenue habituelle – d’un texte voulu pour la fonction publique d’État, puis appliquée comme on peut aux deux autres versants, pourtant bien différents dans leur fonctionnement. Mais beaucoup de chantiers cruciaux pour la fonction publique territoriale sont restés en jachère : les enjeux des rémunérations, de l’attractivité et de la gouvernance seront au cœur du prochain quinquennat. Ces questions sont complexes mais non moins urgentes.
Elles sont complexes en raison des spécificités de la fonction publique territoriale, qui est à la fois multiple et fondamentalement adossée à la libre administration des 50 000 employeurs territoriaux, mais également homogène et unifiée par les mêmes principes qui régissent la fonction publique et qui découlent principalement du statut ainsi que des outils mis en place par la loi fondatrice de 1984. Elles sont urgentes car la fonction publique territoriale emploie près de 75 % d’agents de catégorie C, peu valorisés bien qu’indispensables au bon fonctionnement du service public du quotidien et rémunérés souvent au niveau du Smic.
Ces spécificités appellent un engagement total des employeurs territoriaux – qui sont les exécutifs des collectivités territoriales et de leurs établissements publics – durant le prochain mandat, pour réaffirmer plus que jamais leur légitimité, leurs prérogatives et leur rôle incontournable pour refonder et redynamiser l’emploi territorial sur des bases solides, en développant une vraie culture du dialogue social.
Premier chantier, probablement le plus urgent, la question des rémunérations. Les employeurs territoriaux devront être moteurs et se mettre en capacité de proposer eux-mêmes des solutions pérennes en faveur d’une nouvelle politique de rémunération plus incitative dans la fonction publique territoriale. Réunis en coordination, ils ont un rôle clé à jouer pour lever les blocages dans la négociation avec l’État et les organisations syndicales.
Si l’augmentation régulière du point d’indice jusqu’à 2010 permettait de répondre au moins partiellement aux revendications syndicales et d’éviter une trop grande paupérisation des agents, on constate que désormais les mesures catégorielles ou sectorielles contribuent à désarticuler les grilles historiques de la fonction publique territoriale en ne satisfaisant personne et en nécessitant, en fin de compte, de revoir toutes les grilles et toutes les catégories. Le système semble à bout de souffle et ne permet plus l’existence d’une échelle de rémunération attractive.
De fait, peu de choses ont avancé depuis la démarche dite “Parcours professionnels, carrières et rémunérations” (PPCR) initiée à l’issue du rapport Pêcheur de 2013. Faut-il faire tout simplement évoluer le point d’indice pour tenter de préserver les grilles actuelles et d’épargner une longue et complexe discussion ? Ou faut-il tout remettre sur le métier ? Les employeurs territoriaux devront, in fine, prendre leurs responsabilités et fixer leur position concernant le pouvoir d’achat de leurs agents.
Deuxième chantier, la qualité de vie au travail. Une véritable prise de conscience s’est opérée et des progrès ont été récemment réalisés à ce sujet, qui couvre une vaste gamme d’actions pour lesquelles les employeurs territoriaux ont une très large marge de manœuvre et une importante capacité d’initiative : conditions de travail, organisation, formation, qualité du management, action sociale, protection sociale complémentaire, maintien dans l’emploi, etc. Même si les décisions doivent être élaborées au niveau de chaque employeur dans le cadre du dialogue social local, il est possible d’imaginer des accords collectifs au niveau national, ce qui suppose une gouvernance appropriée de la fonction publique territoriale.
Troisième chantier, qui rejoint les deux premiers, l’attractivité, préoccupation dont les employeurs territoriaux vont devoir s’emparer rapidement, car le risque de connaître des pénuries à long terme d’agents, préjudiciables à la qualité du service public, est réel. Pour être force de proposition et efficaces, ils auront intérêt à parler d’une seule et même voix. La Coordination des employeurs territoriaux peut les y aider. Même si elle demeure informelle, elle a démontré durant ces trois dernières années sa capacité à fédérer et à dégager du consensus. Cette unité est essentielle pour défendre et promouvoir l’image et les métiers de cette fonction publique territoriale trop largement méconnue et parfois dévalorisée par les employeurs eux-mêmes.
Cela conduit au quatrième chantier, qui est celui de la gouvernance dans un contexte décentralisé. Trop longtemps, les employeurs territoriaux ont évolué dans un paysage institutionnel éclaté, faisant parfois entendre des voix discordantes face à l’État et aux organisations syndicales et prenant ainsi le risque d’affaiblir la fonction publique territoriale et sa place dans le paysage public français.
La Coordination a montré ces trois dernières années que lorsque les employeurs territoriaux parlent d’une seule voix, leur message est entendu et pris en considération. Il faudra sans doute aller plus loin, mais ce ne sera possible que si une nouvelle approche de la décentralisation, basée sur la confiance et la responsabilité plutôt que sur la norme et la réglementation, s’installe enfin dans le pays.
C’est dans le cadre de cette décentralisation pleine et assumée, à la fois par le pouvoir national, l’administration d’État et les exécutifs territoriaux, et dans ce cadre seulement, que la fonction publique territoriale et le service public local pourront imaginer leur avenir. Et celui de notre modèle de société.