Etat – élus locaux : refonder la confiance
Paru dans La Tribune du 12 décembre 2006
Quelques jours après le congrès des maires de France, deux rapports sont publiés. L’un, demandé par les associations d’élus elles-mêmes, porte sur l’avenir de la fiscalité locale, l’autre, commandité par le ministre du Budget, traite de la maîtrise et du pilotage de la dépense publique locale.
Ces rapports étaient très attendus. Ils contiennent de nombreuses propositions dont beaucoup vont dans le sens de ce que souhaitent les élus locaux. Surtout, ils appellent, chacun à leur manière, à une forme de « refondation » des relations entre les collectivités locales et l’Etat. C’est en cela qu’ils peuvent être le point de départ d’une véritable – et sans doute indispensable – « révolution culturelle ».
Depuis qu’existe un Etat en France s’est toujours posée la question des pouvoirs intermédiaires. Notre culture nationale, faite d’épopées et de belles et grandes phrases, fait une large place au chef, charismatique, providentiel et équitable. Tout ce qui détient une parcelle de pouvoir doit être à son service, car lui seul sait, par essence, ce que doit être l’intérêt général. Ainsi, aujourd’hui encore, l’appareil d’Etat croit – avec conviction et sincérité – que les collectivités locales ne sont que son propre prolongement, ses vassales obligées. D’où ce mélange de considération attentive et d’agacement du pouvoir central à l’égard des acteurs locaux.
Nous sommes aujourd’hui au point de rupture. Les ambiguïtés doivent être levées. La décentralisation à la française, qui consiste à transférer des compétences de gestion et non du pouvoir de décision, a atteint les limites de sa pertinence, lorsque l’on demande aux assemblées élues de se contenter de gérer des dossiers et d’appliquer des normes décidées « en haut ». Le gâchis de la loi de février 2004 est dans toutes les têtes. Loin de constituer un « acte II », cette loi, technocratique, n’est que le délestage d’un Etat pris de panique. Pourtant, les apparences subsistent. Jamais les élus locaux n’ont reçu autant de notes, circulaires, instructions et recommandations. Jamais les « plans » de toute nature n’ont été aussi nombreux. Jamais n’a-t-on vu le pouvoir central traiter avec autant de condescendance, voire de mépris, les collectivités locales et tout ce qu’elles représentent en terme de services publics de proximité, de présence quotidienne auprès des Français, de niveau d’investissement public pour continuer – malgré tout – à moderniser le pays.
Chacun des acteurs de cette mauvaise pièce a pourtant conscience qu’il nous faut maintenant sortir de cette situation délétère. Pour faire face à la grave crise d’identité que connaît notre pays, les élus locaux souhaitent établir de nouvelles relations de confiance avec l’Etat. C’est le moment ou jamais de dire la vérité sur les conditions que cela suppose.
Il nous faut d’abord passer d’une culture de l’affrontement à une culture de la négociation. Cela suppose de considérer l’autre comme partenaire. L’appareil d’Etat doit comprendre que les collectivités locales ne sont pas des variables d’ajustement de son propre fonctionnement, mais que les élus locaux ont aussi vocation à contribuer à la définition de l’intérêt général.
Il faut ensuite quitter le discours notarial sur les finances publiques et se poser enfin la question de l’utilité et de la justification, dans une société moderne, de la dépense publique. En face de cette dépense, il y a des services, de plus en plus développés qualitativement et quantitativement. Quels sont ceux dont notre société accepte de se séparer ?
Les élus locaux ne refusent pas la responsabilité de la gestion, ils la revendiquent. Ils y posent une double condition : disposer de marges réelles d’autonomie de décision, s’appuyer sur une fiscalité évolutive. Comment en effet financer un budget global qui approche les deux tiers de celui de l’Etat avec la fiscalité locale actuelle ? Il y a aujourd’hui un vrai paradoxe à demander toujours plus à l’impôt local et, en même temps, à réserver à l’Etat les impôts les plus justes et les mieux acceptés par nos concitoyens.
Reste une dernière condition, qui fait débat : traiter le cumul des mandats. L’interdiction stricte d’un mandat parlementaire avec un exécutif local clarifierait les enjeux respectifs et donnerait à chacun la pleine mesure de ses responsabilités, sans la confusion actuelle.
C’est parce que, au-delà de leur contenu technique, ils évoquent ces conditions, que les deux rapports qui viennent d’être publiés doivent être le point de départ du débat que les élus locaux souhaitent à l’occasion des échéances majeures de 2007.